HADÈS Archéologie

Cathédrale Saint-André

Fiche

Résumé

2009

Dans le cadre des aménagements paysagers de la place Pey-Berland, les piliers d’un porche roman, devant l’entrée nord de la cathédrale Saint-André, ont été mis au jour en 2003. L’importance des vestiges a suscité une réflexion sur le devenir du site. Dans l’attente d’une décision, ils ont été recouverts de sable et scellés par une dalle de béton. Ce n’est qu’en 2009, une fois la décision prise de prolonger le dallage du parvis, qu’une opération préventive a pu être effectuée. L’emprise de fouille était de 420 m² (fig. 1), équivalente à celle de l’aménagement.

Le but de ces investigations était de vérifier la liaison entre le porche roman et la maçonnerie du transept de la cathédrale et de fouiller les sépultures menacées par le projet. Les premiers résultats ont montré que le porche, construit au cours de la deuxième moitié du XIIe siècle, entre 1136 et 1195, a connu des problèmes de stabilité. Fondé dans un sous-sol à la fois meuble (marécages) et comportant des points durs (vestiges architecturaux antérieurs), l’édification de la tour, issue d’un programme ambitieux et ostentatoire, où l’on soupçonne l’intervention de l’archevêque Geoffroy de Loroux, n’a peut-être jamais été achevée. En effet, il semble que la construction a montré rapidement des signes de faiblesses entraînant, dans un premier temps, la mise en place d’un renfort dont la fonction reste floue. Son édification a peut-être même accentué la fragilité de l’édifice. Il s’en suit la condamnation de trois portails (nord, ouest et est). La structure est ainsi transformée en chapelle, au début du XIIIe siècle, puis, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, en crypte avec la fermeture de l’accès sud et avec l’adjonction d’un escalier. Le pilier nord-ouest est orné de peintures murales (fig. 2), dont la scène principale représente un individu allongé sur une barque (saint Jacques ?). La datation de ce décor reste incertaine. La structure est emmottée progressivement avec l’exhaussement des niveaux de sols extérieurs. Un espace funéraire se constitue autour de l’édifice. Deux niveaux d’inhumations ont été repérés. Sur 92 sépultures inventoriées, 55 ont été fouillées. Plusieurs modes d’inhumations ont été distingués tel que les sarcophages, les coffrages bâtis, et les sépultures en pleine terre. Des orcels (ampoules en verre) ont été déposés avec les individus inhumés dans les sarcophages et les coffrages bâtis (fig. 3). Deux sépultures de pèlerins ont été repérées. Les individus ont été enterrés avec leurs attributs (coquilles Saint Jacques, croix). L’étude du mobilier indique une fréquentation funéraire au cours des XIIIe XIVe siècles.

L’édifice est condamné et arasé dans la première moitié du XIVe siècle. La crypte est comblée par plusieurs remblais avec à la base un important dépôt d’ossements (ossuaire) (fig. 4). L’espace ainsi dégagé est aménagé en place devant le nouveau transept gothique et la monumentale porte « des flèches ». Les inhumations semblent se poursuivre. des sépultures en pleine terre, dépourvues de mobilier, coupent des niveaux de circulation recouvrant un mur arasé. La fonction initiale de ce dernier matérialise, peut-être, un essai de raccordement entre le porche et la cathédrale. Le site est perturbé à plusieurs reprises par le percement de réseaux au début du XXe siècle. L’ensemble des vestiges est actuellement préservé sous un important remblai de sable, le tout recouvert par les nouvelles dalles du parvis de la cathédrale.

Natacha SAUVAÎTRE

2014-2015

La cathédrale Saint-André de Bordeaux fait l’objet depuis de nombreuses années d’importantes campagnes de restauration sous le contrôle de Michel Goutal, architecte en chef des Monuments Historiques. La nouvelle tranche de travaux de restauration prévoit la réouverture du portail Royal. Ces derniers vont modifier la vision du visiteur à l’extérieur avec la mise en place d’un emmarchement en pas d’âne et la création d’un nouveau parvis. La réouverture du portail induit le déplacement de la chaire à prêcher dans la travée précédente, à son emplacement originel. Ces travaux vont impacter le sol sur une superficie estimée à 260 m². à l’intérieur de l’édifice, ils concernent l’ouverture et l’emmarchement du portail, sur 1,50 m de profondeur, ainsi que le creusement du futur emplacement de la chaire sur un mètre de profondeur. L’intervention programmée à l’extérieur consiste d’une part au décaissement de 1,20 m de profondeur, dans la partie située entre le contrefort de Gramont et la salle Marcadé et, d’autre part, au retrait du dallage avec un impact en sous-sol de 0,50 m. Compte tenu de la richesse du contexte historique et archéologique, cette opération ne peut être réalisée qu’accompagnée par un suivi archéologique avec, au préalable, la réalisation de plusieurs sondages. Huit fenêtres d’exploration ont ainsi été ouvertes à l’extérieur et quatre à l’intérieur. Les résultats obtenus apportent des informations inédites sur l’histoire de la cathédrale.

Aucun vestige de la cathédrale du XIe siècle n’a été retrouvé lors de ces investigations. Le sondage mené au droit de la pile délimitant la cinquième et sixième travée a permis le dégagement du soubassement et des bases de la pile romane. Il ne reste de la pile que le premier tambour des colonnes engagées et les bases de forme attique ornées, au niveau de la plinthe, de griffes d’angle (fig. 5). Ces dernières ont été bûchées et sont dans un très mauvais état de conservation. La pile repose sur un soubassement droit monté sur deux assises. Ce soubassement présente un retour le long du mur nord de la nef, arasé sur 18 cm. Cette reprise, provoquée par la création de la porte royale, a entraîné, par ailleurs, le bûchage de la base de la première colonne engagée située dans le prolongement de l’ébrasement.

La lecture du plan de masse des vestiges mis au jour à l’extérieur permet d’affirmer que la maçonnerie dégagée le long du gouttereau nord correspond aux vestiges du mur de nef du XIIe siècle (fig. 6). Son épaisseur initiale atteint ainsi 3 m, avant qu’il ne soit repris et affiné lors de la réfection liée à la pose des baies et du dédoublement des travées. Une importante ouverture ébrasée de 5,70 m de largeur a été aménagée dans cette portion du mur avec un passage restitué de 3 m. Cette ouverture, totalement insoupçonnée, s’ouvre exactement au centre de la seconde travée de la nef romane. Ce passage permet ainsi une communication entre la nef de l’église et le palais archiépiscopal qui se dresse sur les flancs ouest et nord. Les niveaux de circulation romans, à base de mortier de chaux, ont été mis en évidence. Le sol de la nef se situe 0,16 m au-dessus du sol identifié à l’extérieur, ce qui suppose une petite marche pour pénétrer à l’intérieur.

Le sondage mené au pied de la pile délimitant la quatrième et cinquième travée a permis de dégager la base de la pile gothique qui se distingue de la pile romane par son profil (fig. 7). Les parties saillantes sont usées et comportent plusieurs cassures. Les faisceaux des colonnettes sont fortement dégradés. La base de la dixième colonne a été cassée et rabotée en grande partie pour l’installation d’un aménagement indéterminé. Les fûts des colonnes et des colonnettes ont été entaillés pour permettre la pose du nouveau sol et des fausses bases lors des restaurations entreprises par l’architecte Combes.

Sept sépultures (cinq sarcophages et deux tombes en pleine terre), postérieures à la porte romane, ont été reconnues lors du nettoyage de surface mené à l’extérieur, devant le portail Royal. La typologie des contenants ainsi que leur cote d’apparition sont semblables à celles dégagées autour de la tour-porche en 2009, datées des XIIIe-XIVe siècles. Une inhumation se distingue par l’emploi d’un sarcophage monolithique trapézoïdal, répondant aux typologies mérovingiennes, taillé dans un calcaire coquillier jaunâtre grossier. Un orcel a été déposé avec le défunt, venant ainsi compléter le corpus de ce type d’objet.

Une partie des vestiges de l’ancienne galerie nord, construite en 1580 et fortement arasée, qui s’appuie contre le mur de la nef, a été partiellement dégagée lors de l’ouverture des sondages 7 et 8. Elle se compose de blocs taillés sur la face parementée, liés par un mortier sableux orangé. L’extrémité orientale de la tribune s’appuie contre la partie occidentale de la pile gothique et s’arrête au niveau de sa colonne d’axe. Bâtie en pierres de taille, l’élévation est conservée ici sur deux assises. Son piédroit est biseauté sur trois faces.

Les sondages effectués à l’intérieur de la cathédrale ont permis pour la première fois de reconnaître un niveau de circulation bâti de carreaux vernissés verts mis au droit de la tribune nord et devant les deux vantaux de la porte (fig. 8). Son état de conservation n’est pas homogène. Il est particulièrement bien conservé devant la baie occidentale de la porte royale. Il a en revanche été fortement altéré devant la baie orientale, mais sa restitution reste possible grâce aux négatifs nettement visibles sur le radier de préparation. Dans la partie centrale, la fondation de la pseudo-pile l’a particulièrement meurtri. Ce revêtement est postérieur à l’installation de la tribune. L’alignement des lignes orientées est-ouest avec les angles du soubassement de la tribune constitue un indice de chronologie relative entre la pose du carrelage et l’installation de la tribune nord. Les analyses par thermoluminescence sur des échantillons de carreaux en terre cuite et des datations par radiocarbone sur les charbons piégés dans le mortier de préparation ont donné des résultats qui remettent en cause la datation par le seul critère typologique. En effet, la datation obtenue par thermoluminescence semble indiquer une production entre 1647 et 1717. Les textes révèlent par ailleurs qu’en 1644, le dallage de la galerie réservée au chapitre est refait.

Le constat archéologique, combiné à l’étude des sources écrites, permet d’attester que le bouchage des parties basses des deux vantaux du portail Royal s’effectue au cours de la période moderne et n’est donc pas le fait de l’architecte Combes. Ce dernier a essentiellement rehaussé le sol de la première travée de la nef sous la tribune afin de le mettre au même niveau que le sol extérieur, situé 1,30 m plus haut que le sol de l’église. Un premier muret est bâti afin de contenir les couches de remblais et va de pair avec le rehaussement des niveaux de circulation à l’extérieur. Le remblaiement de la nef ne peut se faire qu’après cette première étape. Le peu de mobilier retrouvé dans ces différentes strates atteste un important brassage. L’étude de la stratigraphie démontre plusieurs cônes de déversement, à la fois depuis le sud et depuis l’est. Un nouveau seuil est par la suite aménagé à cheval sur le muret du vantail oriental et sur les remblais, permettant ainsi un accès vers l’extérieur. Après la destruction de l’archevêché en 1772, le portail Royal continue d’être utilisé puisqu’en 1777, les ducs de Chartres, Provence et Artois le franchissent lors d’une cérémonie solennelle. Le bouchage définitif est l’œuvre de l’architecte Combes au début du XIXe siècle.

Les couches accumulées pour rehausser le niveau de sol ont été transpercées lors de l’installation de deux tombes. Le constat archéologique démontre qu’elles sont antérieures à la tranchée de fondation de la pseudo-pile destinée à recevoir la nouvelle chaire. En effet, il manque une partie des membres inférieurs pour l’une et le crâne est absent pour l’autre. Une datation radiocarbone a été effectuée sur l’une d’entre elles et permet de rattacher ces inhumations à la première moitié du XVIIIe siècle.

La date précise de la condamnation de la porte Royale est inconnue. L’architecte Combes condamne définitivement cet accès au profit de la porte qu’il perce dans le mur ouest. La fermeture du portail est donc calée entre 1803 et 1804. La surveillance du démontage de la pseudo-pile édifiée par l’architecte Combes afin de recevoir la chaire en acajou de Saint-Rémi a permis de constater l’utilisation de pierres sculptées provenant de la destruction de la chaire en pierre et des anciens tombeaux, aussi bien dans la fondation que dans l’élévation. Le constat archéologique démontre que l’élévation de la pile est contemporaine du reste du bouchage puisque des pierres sont communes aux deux entités.

Le sondage 3, mené contre le flanc nord du pilier de Gramont, a permis de dégager une partie de son soubassement. La localisation de ce sondage devait, par ailleurs, apporter des éléments de discussion sur la clôture du palais de l’archevêché qui, selon les anciens plans, s’appuyait contre le pilier de Gramont. Aucun vestige bâti n’a pu être identifié clairement au cours de cette campagne. Le nettoyage de surface, mené entre le contrefort ouest du portail Royal et la face sud du pilier de Gramont, n’a pas révélé d’autre indice matériel en dehors de la large fondation débordante du pilier.

Les sondages 5 et 6, complétés par le nettoyage de surface, ont permis de dégager les fondations de l’ancienne sacristie des messes. La fondation du mur ouest atteint les 2,15 m de largeur. La petite porte aménagée dans le bouchage du vantail oriental du portail Royal pourrait être rattachée à l’installation de la sacristie des messes. Cette ouverture permet un accès direct à la chaire à prêcher située sur le revers du portail.

La restauration extérieure du portail Royal, achevée en 2013, et maintenant sa réouverture constituent l’aboutissement du programme de réhabilitation de cette entrée monumentale. La surveillance archéologique entreprise dans le cadre de ce projet apporte de nombreux éléments inédits sur l’histoire de la cathédrale. Ces découvertes archéologiques combinées à celles réalisées en 2009 permettent de renouveler et d’étoffer l’étude minutieuse menée par Jacques Gardelles en 1963.

Natacha SAUVAÎTRE