HADÈS Archéologie

Maison Dite “Des Dames de La Foi”

Nos métiers Production scientifique Opérations Maison Dite “Des Dames de La Foi”

Fiche

  • Responsable : Agnès MARIN
  • Période de fouille : 2005
  • Localité : Périgueux (Dordogne)
  • Type d’opération : 
  • Période :  ,
  • Agence : ATLANTIQUE

Résumé

L’étude archéologique exhaustive des élévations de l’immeuble du 4 6 rue des Farges, prescrite avant travaux de réhabilitation, renouvelle la connaissance d’une demeure médiévale connue depuis le XIXe siècle, uniquement pour la qualité architecturale hors du commun de sa façade. Hormis celle de la construction initiale, trois phases principales de remaniements ont pu être identifiées, qui, associées aux quelques données d’archives recueillies, éclairent les différentes étapes de son histoire. L’édifice primitif est une maison bloc de plan trapézoïdal d’environ 13 m de côté dont les quatre murs porteurs, montés en grand appareil de pierre de taille, sont conservés de fond en comble, présentant une distribution initiale en deux niveaux. Son implantation, affrontant la rue par un long côté disposé au nord, est caractérisée par l’absence durable de toute mitoyenneté, et la présence d’un terrain attenant à l’arrière, à plus de 3 m en contrebas, du fait de l’importante rupture de pente qui affecte toute la rive sud de la rue. Ce fort dénivelé explique la différence notable de hauteur entre la façade sur rue de 10 m et celle du mur opposé au sud, qui atteint presque 14 m, conférant à l’édifice l’aspect imposant d’une tour. D’autre part, cette conformation naturelle de l’assiette a conditionné la répartition spatiale du rez-de-chaussée, opposant un espace nord largement ouvert sur la rue à celui tourné sur le jardin, nettement en contrebas. Leur séparation, qui n’a laissé aucune trace, devait être assurée par un dispositif porteur est ouest-probablement composé de piliers, en outre indispensable pour réduire la portée des poutres du plancher de l’étage. Côté rue, les trois grands portails qui ajourent grandement la façade signalent la présence probable d’ouvroirs tandis que les portes latérales indiquent une possible desserte autonome de l’étage résidentiel ou de la partie arrière de la maison. Cette dernière, semi enterrée et ouvrant sur le jardin par un unique et monumental portail en plein cintre suggère, par l’absence de toute autre ouverture ou d’aménagement caractérisé, un usage de stockage peut être en relation avec des activités agricoles. Selon le modèle classique de l’architecture domestique urbaine, l’étage était dévolu aux fonctions résidentielles. des retraits encore présents dans les murs ont permis de fixer avec précision la position du plancher 5 m sous la corniche qui ceinturait le sommet des parois. Aucune trace de cloisonnement d’origine n’a pu être repérée, mais la répartition des baies et aménagements donne quelques indices quant à l’organisation interne de cet espace de 170 m2. La moitié nord devait constituer « la salle », abondamment ouverte sur la rue par quatre amples fenêtres à baies quadruples, complétées aux angles par d’étroites et hautes portes en plein cintre usitées comme telle, mais dont la fonction exacte reste inconnue. La partie opposée, plus modestement éclairée par une baie quadruple au milieu du mur sud et une fenêtre triple côté ouest, était associée à une galerie extérieure couvrant toute l’emprise du mur sud et qui devait jouer un rôle important dans le mode d’occupation de ce niveau d’habitation, pourvoyant un utile surplus d’espace clair, bien exposé et probablement abrité par un avant toit. Les deux portes y donnant accès suggèrent une division de la partie attenante, la présence de deux couples de placards muraux, seuls équipements domestiques repérés à ce niveau, déterminant un usage plus fonctionnel pour la pièce côté est. À l’angle oriental de cette dernière, une troisième porte, très nettement surhaussée, a peut être constitué un passage pour un escalier menant aux combles depuis la galerie extérieure, disposition qui pouvait se justifier par un souci de préserver au maximum la surface habitable du niveau. À défaut de sources renseignant le contexte de la construction de cette demeure, seule sa typologie formelle permet d’en définir le programme, caractérisé par une nette dualité fonctionnelle : au rez-de-chaussée qui participait manifestement aux activités de production et d’échange sollicitées par l’axe commercial important que constituait alors la rue des Farges, voie principale reliant la Cité au bourg du Puy Saint Front, s’oppose un étage entièrement dévolu à l’habitation. En outre, le faste décoratif exclusivement concentré sur le frontispice offert à la vue, et dont l’ordonnance régulière d’arcatures n’est pas sans évoquer l’image idéale du palais, tranche avec la sobriété des autres façades et démontre une prédilection évidente pour la mise en scène du rang privilégié du commanditaire, attribut déterminant de la demeure bourgeoise. Enfin, plusieurs traits morphologiques associés aux indices fournis par le décor sculpté de la façade, ressortissant au style roman tardif, permettent d’en situer la période de construction dans le dernier quart du XIIe siècle ou au tout début du XIIIe siècle.

Au cours du Moyen Âge, des aménagements importants qui peuvent procéder d’étapes successives dont la chronologie n’a pu être précisée, témoignent de modifications significatives dans l’usage et l’affectation des différentes parties de la demeure.

Au rez-de-chaussée, la partie de plain-pied avec la rue a été doublée de surface par l’insertion, dans le volume de 7 m de haut de la partie sud, d’un plancher de niveau avec les seuils de portes percées à chaque extrémité du mur sud, suggérant une communication avec d’éventuelles structures disparues (galerie, bâtiment annexe ?). On ignore comment s’articulait cet entresol avec le niveau du rez-de-chaussée côté rue, 1,20 m plus bas, auquel il pouvait en tous cas apporter un surplus d’espace pour le stockage des denrées et marchandises.

À l’étage, la transformation majeure tient à la mise en place d’un décor peint ambitieux, couvrant sans rupture apparente la totalité des quatre murs de l’étage, comme si toute cloison en avait été supprimée au profit d’un espace unifié, où la luminosité semble avoir été atténuée par l’obturation de nombreuses baies et portes. La composition ornementale associe plusieurs registres de motifs géométriques sur lesquels sont appliqués de grands écus armoriés inscrits dans des quadrilobes de couleurs variées. Au sommet du mur, une frise de 50 cm de haut alterne des carrés ornés de rubans pliés avec des panneaux historiés. Sur la faible partie conservée ou dégagée, neuf de ces derniers ont pu être repérés, cinq se rapportant à des thèmes religieux, où la figure du Christ a été reconnue à quatre reprises. Pour lors, seul un Repas chez Simon le Pharisien a pu être formellement identifié, mais l’ensemble des vestiges, souvent lacunaires, montre à l’évidence la présence d’un programme iconographique savant. Cet ensemble exceptionnel par son ampleur et sa double thématique, religieuse et emblématique, n’a guère d’équivalent parmi les nombreux décors mis au jour dans les résidences médiévales. L’appartenance de la demeure à l’Ordre du Temple attestée à partir de 1247 prend donc un relief particulier et permet d’avancer l’hypothèse de l’aménagement à l’étage de cette maison bourgeoise prestigieuse, située au cœur du bourg Saint Front, d’une salle d’apparat vouée aux réunions et cérémonies de la commanderie, ce qui expliquerait à la fois le caractère d’exception de l’iconographie du décor, et les aménagements peu adaptés aux fonctions d’habitation dont ce niveau a été l’objet dans le même temps. Dernière modification attribuable à l’époque médiévale : une cheminée adossée au mur ouest de la salle et dont ne subsiste que la trace du contrecœur. Il est très probable que son installation soit postérieure à la phase d’aménagement de la salle, et procède d’une réhabilitation de l’étage à des fins résidentielles qui a pu être menée après 1332, date à laquelle la demeure fut cédée par l’ordre de Saint Jean de Jérusalem à Hugo Peyroni, bourgeois de la ville dont la résidence était voisine et qui tenait déjà l’édifice à rente depuis un temps indéterminé.

La succession des propriétaires de la demeure est ensuite bien établie : par jeux d’alliance, elle échoit au début du XVIe siècle à la branche des Arnault de Golce, puis aux Arnault de Laborie qui la conservent jusqu’à la fin du XVIIe siècle. C’est à cette dernière famille qu’est attribuable la transformation radicale de l’édifice à la fin du XVIe siècle visant à conférer à l’ancienne demeure le lustre et la rigueur d’ordonnance qui sied à l’hôtel particulier d’une illustre famille d’humanistes. Un escalier en pierre rampe sur rampe à quart tournant a été implanté dans une cage réservée dans l’angle nord-ouest-afin de desservir, depuis la cave creusée ou réaménagée à cette époque, les quatre niveaux insérés dans le volume initial de l’édifice, dont l’élévation a alors été intégralement remaniée afin d’insérer un étage supplémentaire et unifier le niveau du rez-de-chaussée. Dans le même temps, un épais refend nord sud a été établi à la fois pour servir d’appui aux voûtes établies en rez de jardin et de relais aux solives des planchers et pour insérer les conduits des cheminées installées dans chacune des pièces. Enfin, des travées régulières de croisées et demi croisées ont été percées dans les trois murs est, ouest et sud, préservant toutefois l’ordonnance d’origine de la façade, signe probable de déférence à l’égard de ce frontispice dont la magnificence devait déjà inspirer le respect. L’ordonnance classique encadrant le nouveau portail d’entrée reporté à l’ouest, le vocabulaire ornemental très antiquisant et les piédroits en consoles galbées à volutes de la cheminée de la grande salle du rez-de-chaussée, ainsi que le décor de médaillons et entrelacs peint sur les solives des plafonds de ce niveau, incitent à situer cette phase à une date avancée dans le XVIe siècle, voire au début du XVIIe siècle.

Le contexte de la cession de la demeure au Couvent des Dames de la Foi, datée approximativement de la fin du XVIIe siècle, reste mal documenté, mais ne semble pas avoir eu d’incidence importante sur l’édifice même, si ce n’est l’adjonction d’une aile supplémentaire accolée à sa face ouest, et avec laquelle des portes de communication ont été pratiquées en supprimant les allèges des demi croisées percées lors de la campagne précédente. Seul le petit clocher couronnant l’angle nord-est de la façade témoigne encore de la vocation religieuse de l’édifice à cette époque. Le couvent fut confisqué en 1792 et affecté en dépôt de mendicité vers 1795. C’est sa transformation en immeuble de rapport vers le milieu du XIXe siècle qui lui fit subir les dommages les plus drastiques, dont l’ouverture des fenêtres du premier étage qui ont achevé de dénaturer la composition d’origine de la façade. Malgré l’insalubrité des logements, l’immeuble est resté habité jusqu’en 1985. Après une période de déshérence, son rachat en 1997 par M. Du Chazaud l’a fait rentrer dans une nouvelle phase de son histoire qui se donne pour ambition une mise en valeur de l’édifice dans le cadre de l’aménagement de logements locatifs de qualité.

Agnès MARIN

Agnès MARIN