HADÈS Archéologie

Logis des Clergeons

Fiche

Résumé

Construit dans le prolongement du bras nord du transept de la cathédrale du Puy-en-Velay et occupant l’aile orientale de son cloître (fig. 1*), le logis des Clergeons a attiré de longue date l’attention des érudits du fait de ses deux belles cheminées romanes, dont les souches s’érigent au dessus des toitures des pièces sud-est et nord-ouest (fig. 2). Toutefois, les cloisons récentes qui en dénaturaient l’organisation primitive avaient découragé les intéressés d’y consacrer une étude approfondie.

Bâti au-dessus de la salle capitulaire dans la deuxième moitié du XIIe siècle, et vraisemblablement réservé à un haut dignitaire du chapitre, le bâtiment sert à héberger les enfants de chœur de la maîtrise de la cathédrale – les « clerghons » – au moins à partir du début du XVIe siècle. Occupé par les chanoines jusqu’à la Révolution, le logis est vendu comme bien national en 1791. À partir de ce moment, il semble plus ou moins abandonné et ne paraît pas concerné par les restaurations du milieu du XIXe siècle, malgré la découverte de peintures à son deuxième étage, représentant d’un côté une prise de ville et de l’autre une partie d’échecs (fig. 3). Cependant, l’iconographie ancienne montre sans ambiguïté qu’au moins une partie de ses façades a été réhabilitée, voire reconstruite, vers la fin du XIXe siècle, mais on n’en conserve pour le moment aucun témoignage écrit. Inclus dans le musée d’art religieux au début du XXsiècle, il fait l’objet de nouveaux aménagements en 1950 pour y installer le logement du sacristain. Définitivement désaffecté une dizaine d’années plus tard, de nouvelles peintures y sont découvertes au premier étage en 1963, dans la pièce nord-ouest (une fausse tenture de griffons, fig. 4) et, à la fin des années 1990, sous les combles de la pièce sud (deux cavaliers affrontés, fig. 5).

Malgré plusieurs campagnes de relevés par le SDAP (à la fin des années 1990 ; fig. 1) et une prospection thématique réalisée dans le cadre d’une thèse dédiée aux bâtiments canoniaux du groupe cathédral du Puy (soutenue en 2003), aucune monographie consacrée exclusivement au logis des Clergeons n’existait jusqu’à ce jour. En effet, le dépôt en 2009 d’un PAT sur le bâtiment (projet architectural et technique), conçu par l’architecte en chef des monuments historiques de l’époque (pour intégrer l’édifice au circuit des visites de la cathédrale) et une prescription du SRA (en vue d’une fouille préventive de l’intérieur de ses pièces) n’avaient pas aboutis. Plus récemment, la reprise du dossier par un nouvel architecte en chef des monuments historiques a été l’occasion pour le SRA de demander une étude archéologique préalable, limitée cette fois à des piquages localisés et à des sondages réduits à travers les planchers.

Confiée à la société Hadès et réalisée en dix jours au début du mois d’avril 2012, cette étude était restreinte à l’analyse archéologique du premier étage du logis, à l’exception de ses façades, des deux latrines nord-est et des deux pièces sud est construites dans le prolongement oriental de la tribune Saint-Michel (fig. 6). Concentrée essentiellement sur la compréhension des phases de construction du logis et sur ses relations avec les bâtiments adjacents, l’étude a toutefois souffert de l’impossibilité de piquer certains enduits anciens (mis au jour préalablement par une restauratrice) ou des rejointoiements rubanés récents, ce qui a entravé l’observation de nombreuses relations stratigraphiques. En compensation, des informations complémentaires ont été glanées dans les différents niveaux de la demeure, intérieurs et extérieurs, bien que situés hors de la zone d’étude. Par ailleurs, des prélèvements dendrochronologiques ont été réalisés sur plusieurs bois de plafond et de plancher. Ils complètent deux études réalisées en 1998 et 1999, qui avaient déjà mis en évidence l’origine romane du logis, ainsi que ses modifications aux XIVe, XVe, XVIIIe et XIXe siècles. Enfin, plusieurs charbons prélevés dans les niveaux de circulation dégagés dans les sondages et datés au radiocarbone confirment la datation assez précoce du logis, dès la fin de l’époque romane.

L’analyse ainsi réalisée a permis de mettre en évidence sept phases de construction, comprises entre le XIIe et le XXe siècle (fig. 6). Au sud-ouest, une phase primitive semble précéder le logis roman (phase 2). Postérieure au bras nord du transept, daté de la seconde moitié du XIe siècle (phase 1), elle l’est sans doute aussi des dispositions premières du cloître à cet endroit (Fig. i). Probablement dès le milieu du XIIe siècle, la salle capitulaire est construite, ainsi que le logis sus-jacent (phase 3). Cependant, malgré l’absence de reprises visibles – peut être masquées par les rejointoiements –, cette construction ne semble pas avoir été réalisée d’un seul tenant, à moins que le programme initial n’ait été modifié au fur et à mesure du chantier. La maison devait présenter dès cette époque un corps de logis unique, flanqué au nord-ouest et au sud de deux pièces plus élevées, évoquant comme des tours peu saillantes (fig. 7). C’est au premier étage de la « tour » nord-ouest qu’est alors construite l’une des deux célèbres cheminées romanes (fig. 8). Au même niveau, le reste du logis était précédé d’un couloir, longé d’une galerie en bois, ouverte sur la rue et aménagée sur un rez-de-chaussée pétrifié (fig. 7). Au nord-est, les pièces des deux étages étaient ornées de peintures, vraisemblablement contemporaines de la construction romane, comme le suggère le plafond du premier étage, dont elles respectent les dispositions ; ce dernier a été daté par la dendrochronologie (en 1998) de la seconde moitié du XIIe siècle (fig. 8). À son extrémité sud, une grande salle de 65 m2, sans doute recoupée en hauteur par un niveau de plancher, occupait alors toute la largeur du logis. Cependant, les vestiges de l’enduit peint de deux cavaliers affrontés conservés sous son niveau de comble ne doivent remonter qu’au milieu du XIIIe ou au début du XIVe siècle (fig. 5). Il est probable que la communication entre le logis et la cathédrale, mise en place par l’aménagement d’une porte entre cette pièce et la tribune Saint-Michel, ne soit pas antérieure à cette période (fig. 6).

À une époque indéterminée, mais probablement également comprise entre le XIIIe et le XIVe siècle, un encorbellement est lancé entre la galerie et le baptistère Saint-Jean (phase 4, fig. 9). Toutefois, il ne semble pas qu’on ait cherché à aménager une communication entre les deux bâtiments, la porte obturée entre les deux espaces, n’ayant sans doute été percée qu’à la fin de l’époque moderne. Toujours vers le XIVe siècle, la grande pièce sud du premier étage est retranchée de sa partie orientale, vraisemblablement laissée à ciel ouvert ou couverte d’un appentis (phase 5, fig. 10). Plus ou moins au même moment, un niveau de plancher est aménagé dans la pièce médiane. Ce n’est que dans une phase ultérieure que la partie sud du couloir est couverte d’un grand appentis, retombant à l’est sur un chéneau. Les aménagements des phases postérieures sont assez marginaux et difficiles à dater (phase 6 et 7) : ils consistent essentiellement en l’installation de cloisons, l’ouverture de portes et la mise en place de planchers, dont un est encore partiellement en usage dans le pontet. Par ailleurs, un enduit peint de personnages, très lacunaire et effacé, appliqué vraisemblablement à l’époque moderne, a été mis au jour par la restauratrice de peintures dans la pièce médiane.

En définitive, l’étude archéologique du premier étage du logis des Clergeons révèle que ce bâtiment, à l’origine réservé à un haut dignitaire du chapitre, a été occupé presque continûment du milieu du XIIe à la fin du XVIIIe siècle, avant une réoccupation moins pérenne dans la première moitié du XXe siècle. La présence d’aménagements de confort dès sa construction, tels une cheminée, des latrines ou un évier, confirme le caractère élitaire de cette demeure. Sa transformation en bâtiment de la maîtrise, si elle a engagé quelques aménagements, n’a pas totalement défiguré les dispositions anciennes qui demeurent encore compréhensibles, malgré plusieurs incertitudes – celles de l’identification de l’aula et de la camera ou de l’accès à la galerie de l’étage n’étant pas des moindres. Il a cependant été possible d’affirmer que le logis est resté indépendant du baptistère jusqu’à la fin de l’époque moderne, du moins par ses circulations intérieures, ce qui constituait une des interrogations principales de la prescription. La mise au jour de niveaux de circulation médiévaux, dans des fenêtres de fouille réduites, et la découverte d’un enduit peint moderne dans la pièce médiane, confirment par ailleurs le potentiel archéologique de cette demeure. Une étude du bâti de plus grande ampleur, à tous les étages du logis, le dégagement des enduits anciens, le piquage des enduits récents et une fouille étendue, au moins de sa pièce médiane et de l’encorbellement sud-est, apporteraient sans doute des informations utiles. En effet, elles éclaireraient la compréhension de certaines incohérences de la chronologie et elles permettraient en outre d’identifier les différentes occupations de la demeure, dont les habitants appartenaient à des groupes sociaux distincts selon les siècles. Gageons que les restaurations à venir fourniront l’opportunité de réaliser cette étude ambitieuse.

Mélanie CHAILLOU

* D’après de plan du SDAP (s.d., années 1990)