HADÈS Archéologie

Les jardins du Carmel

Fiche

Résumé

Un projet de construction d’immeubles d’habitation avec parking souterrain dans le centre-ville de La Rochelle a occasionné la réalisation d’une fouille, sur une surface d’environ 1 600 m² (fig. 1), durant l’été 2008. Le terrain concerné, situé aux numéros 9-14 rue Alcide d’Orbigny, occupe l’emprise de l’ancienne école Notre-Dame, appartenant aux Frères des Écoles Chrétiennes, ainsi qu’une partie des jardins mitoyens du couvent des Carmélites. Cet ensemble est communément nommé îlot de l’Evescot, en raison de l’établissement vers 1360 d’un tribunal ecclésiastique dirigé par un représentant de l’évêque de Saintes au sud-est du quartier.

Cet îlot urbain relève de la paroisse de Notre-Dame de Cougnes, première paroisse de la ville, citée dès 1139. À cette époque, cet espace se situe hors les murs de la ville. Les rares indices de cette période se traduisent par la présence résiduelle de fragments de céramiques dans des structures postérieures.

L’ensemble est intégré intra-muros lors du développement de la deuxième enceinte, avant 1209. Le site présente les traces de l’exploitation du sous-sol par des fosses d’extraction de calcaire. Cette première occupation caractérisée est de courte durée et s’interrompt dans la première moitié du XIIIe siècle. Le calcaire fera l’objet de nouvelles extractions, au début du XVIIe siècle. Certaines carrières, repérées partiellement, se présentent sous la forme de vastes excavations profondes d’environ 4 m, aux parois verticales et à fond plat.

Par la suite, l’espace est investi par de l’habitat, dont la majorité des vestiges n’est que partiellement conservée. Cependant, la fouille a révélé l’existence d’une voie en calcaire pilé traversant l’îlot d’est en ouest et de part et d’autre de laquelle se développent des bâtiments dont l’un présente son mur gouttereau le long de cette route. Entre le milieu du XIIIe et le début du XVe siècle, plusieurs états se succèdent, difficilement interprétables en raison des lacunes. Cependant, le tissu apparemment lâche des constructions reflèterait sans doute une occupation plutôt caractéristique d’un habitat de type rural. Dans le même temps, s’installe le couvent des jacobins sur l’actuel îlot voisin, au niveau de la place Cacaud. Leur implantation, attestée en 1268, a été révélée par des fouilles réalisées dans les années 1980 avec la mise au jour des vestiges de l’église primitive et de quelques bâtiments conventuels. Si ces deux îlots sont aujourd’hui séparés par la rue Saint-Dominique, nom donné en hommage à l’ancienne présence des frères prêcheurs, ils étaient rassemblés jusque dans le dernier tiers du XVIe siècle pour ne former qu’une seule entité. À la suite du rétablissement des dominicains sur leur ancien domaine au début du XVIIe siècle (1637-1638), après avoir été forcés de partir lors des guerres de Religion ayant entrainé leur ruine dans la deuxième moitié du XVIe siècle (1562-1568), des conflits d’intérêts sont enregistrés entre des particuliers installés récemment sur l’îlot de l’Evescot et les dominicains tentant de récupérer leurs anciens biens. Ces documents semblent donc attester de la présence des religieux de ce côté du quartier et les vestiges observés pourraient alors relever en partie de l’activité des jacobins.

Le cœur de l’îlot change ensuite de physionomie. En effet, l’ensemble de la surface observée est littéralement recouvert d’une épaisse couche de marne jaune empreinte de traces de foyers, de fosses et d’une nouvelle petite voie de circulation, au nord du grand bâtiment, alors détruit, composée également de petits éclats de calcaire compactés. Un dépotoir de boucherie constitué d’un amas de fragments de bas de pattes en connexion, de chevilles osseuses de cornes, essentiellement de bovidé, et de nombreux fragments de céramiques, entre autres, date cet abandon du secteur du début du XVsiècle. Cette modification profonde de l’état des lieux est probablement attribuable aux jacobins restructurant leur enclos.

Le départ forcé des religieux marque une nouvelle transformation de l’îlot dès la deuxième moitié du XVIe siècle. Une grande partie de l’aire fouillée est recouverte par un apport massif de sédiment limoneux, transformant définitivement la fonction de cet espace en zone de jardins. Ces niveaux sont riches en matériels résiduels caractéristiques d’une fourchette chronologique large s’étendant du XVIe au XXe siècle. En bordure de la rue Alcide d’Orbigny, de nouvelles constructions correspondant à des unités d’habitat voient le jour. La rue Neuve, plus tard rue Saint-Dominique, est percée et scinde le vaste îlot en deux. Des limites parcellaires sont clairement marquées par des murs qui perdureront pour certaines jusqu’à notre intervention. Selon les sources iconographiques et écrites, la zone nord de l’emprise de fouille correspond à l’hôtel particulier du « Petit Louvre », dont il ne reste aujourd’hui qu’une façade arrière du XVIIIe siècle, conservée malgré tout dans le projet immobilier.  La zone sud, quant à elle, est occupée successivement par les jardins d’une boucherie, d’une raffinerie et enfin par le couvent des carmélites. Le long de la rue Alcide d’Orbigny, les habitats subissent de nombreuses modifications jusqu’à l’édification, en 1865, d’une chapelle et le creusement d’une cave sous-jacente lors de l’établissement des Petites Sœurs des Pauvres. Cette configuration perdurera jusqu’à la mise en place du projet immobilier.

Armelle GUÉRITEAU