HADÈS Archéologie

Îlot Santé Navale

Fiche

Résumé

Le projet de restructuration de l’îlot Santé Navale, cours de la Marne, a donné la possibilité d’explorer un quartier de Bordeaux peu connu pour les périodes anciennes. Une étude documentaire visant à rassembler la documentation disponible en archives, à superposer les plans et à documenter les aménagements successifs entre le milieu du XVIe siècle et nos jours a été réalisée. Les données acquises ont été confrontées avec le bâti existant afin d’obtenir, avant démolition, une chronologie des différentes structures et de leurs fonctions.

En 1586, suite à plusieurs épisodes de peste, la ville achète des biens, dont le « bourdieu d’Arnaud Guiraud», pour y installer un Hôpital de la Contagion. Des informations sur le fonctionnement de l’hôpital et la configuration des lieux sont dispersées dans les archives. Des travaux et des agrandisse­ments ont lieu au cours du XVIIe siècle. Entre 1758 et 1768, l’architecte de la ville Richard-François Bonfin dresse plusieurs plans des lieux dans le but d’y établir provisoirement une maison de force et un dépôt de mendicité. Durant la première moitié du XVIIIe siècle, seuls quelques travaux de maintenance furent réalisés et ces plans présentent donc probablement les dispositions des constructions du XVIIe siècle. En 1769, la maison de force devient définitive. Un nouveau bâtiment est alors édifié dans l’enclos d’Arnaud Guiraud. Un travail de nivellement des pentes est entrepris. Le chantier débuta par la démolition des vieilles structures sur lesquelles furent édifiés les trois corps de logis principaux. Parallèlement à l’édification de la maison de force, la partie sud-ouest de l’enclos d’Arnaud Guiraud et une partie des bâtiments de l’hospice des pauvres sont cédées à l’intendant de Guyenne pour y établir un dépôt royal de mendicité. À la Révolution, la maison de force et le dépôt de mendicité sont supprimés. Après plusieurs occupations provisoires, la ville décide d’y installer un « Hôpital spécial pour les aliénés », en 1802. Une importante transformation eut lieu et l’administration des hospices étendit progressivement ce nouvel établissement sur toute la surface de l’enclos d’Arnaud Guiraud, englobant successivement la maison de force, le dépôt royal de mendicité, les cours et les jardins de tous les anciens établissements. Au début des années 1880, la ville récupère la propriété des terrains et des constructions de l’enclos d’Arnaud Guiraud. En 1890, un accord est signé entre le ministre de la Marine et la municipalité de Bordeaux afin d’établir « l’école principale du service de santé de la marine ». Le choix se porte alors provisoirement sur les anciens bâtiments désaffectés de l’asile d’aliénés. Pendant trois ans, les bâtiments ne sont que superficiellement rénovés avant que l’école de santé de la Marine ne s’installe de manière plus pérenne en construisant de nouveaux bâtiments.

La fouille préventive réalisée sur le site après destruction des bâtiments a permis d’ouvrir, dans des espaces exempts d’une trop grande densité de vestiges modernes, des fenêtres d’étendues et de profondeurs variables jusqu’aux niveaux antiques (fig. 1). Si du mobilier antique résiduel en est sorti, ces investigations n’ont malheureusement pas permis de trouver des structures à proprement parler.

L’étude géoarchéologique atteste par contre l’idée d’une volonté anthropique de réaménager le site. Cette transformation se manifeste par un nivellement général du terrain. Cette préparation du terrain est également confirmée par les études palynologiques et anthracologiques. Ces analyses ont été menées sur la base de plusieurs prélèvements effectués dans des niveaux de remblais volontaires scellant une doline. Le bilan de ces analyses semble indiquer que le site a subi, en parallèle d’un nivellement global, une transformation paysagère majeure traduisant vraisemblablement une politique de valorisation du terroir. Les diverses études réalisées mettent donc en évidence une transformation majeure de la zone de Santé Navale. Un nivellement général du site est ainsi accompagné d’un important déboisement du terrain par le feu, cédant la place à une exploitation sommaire des terres pour des pratiques pastorales et peut-être également pour des mises en cultures. Les résultats des datations 14C semblent indiquer que cette ouverture du milieu a pu s’amorcer dès l’âge du Bronze. Cette mise en valeur du terrain s’est intensifiée durant l’âge du Fer pour aboutir à un paysage ouvert et pâturé dès l’Antiquité. L’étude géoarchéologique tend à indiquer qu’ensuite, l’aménagement de ces espaces n’a pas évolué en termes d’altimétrie jusqu’au XVIe siècle et l’installation du bourdieu d’Arnaud Guiraud. Les établissements modernes successifs ont en effet été accompagnés par l’apport d’importants remblais urbains. Ceux-ci ont scellé, et donc préservé, les niveaux sous-jacents, permettant de garder une trace de l’aménagement de ces plateformes. Cependant, ils ont également fait évolué la partie supérieure de ces niveaux en « terres noires », effaçant ainsi de possibles structures antiques et niveaux d’occupations médiévaux.

Les travaux de nivellement successifs, avec probables apports de remblais, ont modifié la topographie du site, effaçant presque sa chrono-stratigraphie. De plus, l’abondance des vestiges de la période moderne a conduit à limiter les enregistrements. Cette méthodologie a été compensée par l’apport des sources planimétriques et bibliographiques qui ont permis de retracer l’évolution des bâtiments d’accueil du XVIIe siècle au début du XXe siècle. Si l’hôpital des pestiférés n’a pu être que peu appréhendé, excepté par sa chapelle (fig. 2), les établissements qui lui ont succédé ont tous laissé leur marque sur ce site (fig. 3). Tous avaient pour point commun avec l’hôpital de la Contagion de servir à l’isolement et l’enfermement des malades ou des pauvres. Ils avaient pour vocation de maintenir enfermés les personnes qui y étaient accueillies afin de les tenir le plus possible à l’écart de la ville et de la société. Progressivement, le soin apporté à leur construction, la valeur architecturale et symbolique des bâtiments qui s’expriment par exemple dans l’intervention d’architectes de la ville de Bordeaux et la qualité des matériaux utilisés dans les derniers états, confèrent à ces établissements une meilleure image.

Amaïa LEGAZ