HADÈS Archéologie

Cloître Saint-Trophime

Fiche

Résumé

2011

Classé Monument Historique depuis le XIXe siècle et inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1981, le cloître de la cathédrale Saint-Trophime d’Arles présente un bâti et des décors d’une qualité exceptionnelle. Parfois très abîmé ou remanié, plusieurs campagnes de restaurations y ont été réalisées entre le milieu du XIXe siècle et les années 1970. Malgré un intérêt précoce et toujours vivace des spécialistes, ce sont surtout les galeries « romanes » (nord et est) qui ont focalisé les intérêts, en particulier des points de vue stylistique et iconographique. Le projet de restauration de l’architecte en chef des Monuments Historiques, a fourni l’occasion au service régional de l’Archéologie de la région PACA de prescrire, en concertation avec la commune, une étude préalable du bâti du site. Celle-ci vient compléter un diagnostic et des fouilles, respectivement effectués en 2008 et 2010, qui ont révélé de nombreuses sépultures et des maçonneries antérieures au cloître dans le préau et la galerie nord. Confiée à la société Hadès, l’analyse du bâti a été menée à deux archéologues pendant cinq semaines en mars et avril 2011. Financée par le World Monuments Fund, qui a fourni un scan 3D servant de base au dessin vectorisé des relevés de l’édifice, l’étude ne concerne que les claires-voies et les murs arrière des galeries. Les sculptures en sont exclues, mais une attention particulière a été portée aux matériaux, aux restaurations et à toutes les reprises. Les premiers éléments qui s’en dégagent révèlent que – hormis quelques points de détails – la chronologie communément admise ne paraît pas devoir être remise en cause (fig. 1).

Appuyé contre un bâtiment primitif qui prolonge le transept sud (phase 1a), le mur oriental du supposé réfectoire constitue l’élément le plus ancien identifié dans les galeries. Il sert de limite ouest au cloître et pourrait être daté du troisième quart du XIIe siècle (phase 1b). Même si des fenêtres sont encore visibles en partie haute sur son parement intérieur, il semble que celles-ci n’ont jamais traversé ce mur, contre lequel était plaqué un système de charpente ou de plancher, vraisemblablement contemporain de la construction – du moins dans un premier état. Peu après, la salle capitulaire est construite au nord, ouverte d’une série de baies cintrées (phase 2a). Elle est rapidement prolongée vers l’est, moment auquel ses baies semblent recevoir leur décor (phase 2b, fig. 2). C’est alors que la jonction avec le réfectoire est harmonisée par la construction d’une grande porte cintrée qui réutilise le chaînage d’angle nord est du bâtiment. Le projet d’un cloître semble conçu à ce moment de la construction. Le mur bahut nord est bâti avec des retours inégaux : court à l’est et long de 15,35 m à l’ouest. Posée dessus, la claire-voie est répartie en trois travées de quatre petites baies cintrées à angles vifs, séparées par de solides piliers, faisant d’importantes saillies cannelées dans le préau (phase 2c, fig. 3). La voûte en berceau plein cintre rampant couvre la galerie en portant sur des doubleaux moulurés supportés au nord par de grosses consoles figurées (phase 2d). L’aile nord semble amorcer un retour vers l’est, et bien que les remaniements postérieurs du mur empêchent d’en apprécier l’étendue ; peut-être que la voûte nord couvrait entièrement l’angle sud est. Le style de la sculpture, confronté à la chronologie établie pour la cathédrale, incite à placer la réalisation de cette première aile dans le dernier quart du XIIe siècle, juste avant l’ajout des décors monumentaux du portail de l’église.

Le bâtiment oriental du cloître – identifié comme le dortoir – est à peine plus tardif (phase 3a). En face, la claire-voie est construite sur le même modèle que la précédente. Elle présente des baies plus larges et moulurées (phase 3b, fig. 4). La voûte respecte le modèle de la galerie nord, mais les tores en amande et à listel de ses doubleaux affichent déjà l’influence du XIIIe siècle (phase 3c). Le mur oriental amorçait un petit retour au sud, interrompu par un coup de sabre. Bien que les éléments manquent pour affirmer une datation, le chantier ne semble pas repris avant plus d’un siècle. En effet, on évoque traditionnellement les dernières décennies du XIVe siècle pour l’achèvement des galeries sud et ouest, couvertes de voûtes sur croisées d’ogives. Malgré une homogénéité apparente, la galerie sud présente plusieurs phases de construction qui trahissent sans doute des changements de programme en cours de chantier (phase 4a à d, fig. 5). Les ouvertures vers le préau sont en arc brisé, mais leur répartition par paire de baies géminées, séparées par de gros piliers à niches, reprend l’organisation des galeries précédentes. Les deux tiers orientaux de la galerie sud semblent voûtés en premier (phase 4c). Les croisées des trois travées ouest paraissent cependant postérieures (phase 4d) : même si les nervures affectent un profil identique, leur procédé de construction diffère. Elles sont en effet bâties avec un système d’encoches taillées au sommet des arcs dans lesquelles sont directement insérés les madriers, évitant ainsi la mise en place de grands cintres (fig. 6). Le même système est employé pour les voûtes de la galerie ouest, mais il est plus maîtrisé et paraît donc postérieur (phase 5). Les claires-voies, réparties en baies géminées séparées par des piliers plus grêles, rompent avec le rythme des autres galeries et suggèrent un programme distinct qui ne semble toutefois pas postérieur au XIVe siècle (fig. 7). L’insertion des retombées des voûtes dans le mur ouest a coupé une arcature autrefois plaquée contre celui-ci et dont il ne reste que des traces discrètes. Cet aménagement, difficile à restituer de manière satisfaisante, devait accompagner la mise en scène des galeries romanes.

À partir de la fin du Moyen Âge, trois phases de réaménagements ont été identifiées. Peut-être antérieure de peu à la sécularisation du chapitre (1489) pour l’une, et postérieures à celle-ci pour les autres, ces périodes de la construction ont moins intéressé les chercheurs, et les aménagements qui les concernent sont en effet assez marginaux à l’intérieur même des galeries. Ces derniers révèlent néanmoins un changement de fonction des ailes, la salle capitulaire devenant le réfectoire, le dortoir la salle capitulaire, puis un grenier, etc. Sans doute dès la fin du XVe siècle, une porte percée à l’angle nord ouest relie le cloître au nouveau chœur de la cathédrale (phases 6). La construction de la nouvelle sacristie en 1665, sous le bâtiment nord-ouest, engage vraisemblablement peu de modifications, si ce n’est l’aménagement d’un escalier dans le passage à l’ouest de la porte précédente (Phase 7). Toutefois, la construction de nouvelles voûtes, dans les ailes nord et est, et la construction d’une porte monumentale de style classique, montrent qu’on continue d’habiter les bâtiments canoniaux et qu’on les modernise à cette époque (fig. 8). Un retable aménagé plus ou moins dans la même période, dans l’angle sud-ouest du cloître, montre par ailleurs que la présence d’un oratoire est pérennisée à cet endroit (fig. 9). Celui-ci est peut-être à associer avec un aménagement non identifié dans le même angle, dans le préau : l’usure du mur bahut ouest indique des passages répétés et l’amorce d’un faisceau de colonnettes contemporain de la claire-voie sud suggère un aménagement peut-être avorté. Après le XVIIe siècle, les aménagements sont difficiles à identifier et à dater. Les plus visibles sont des traces de fermeture des baies des claires-voies et l’aménagement de cloisons au nord-ouest et au sud-est (Phase 8).

Une dernière phase concerne les restaurations des XIXe et XXe siècles, pendant lesquelles, entre autres, les pavements, des colonnettes et même des pans de murs ont été remplacés. Dans les années 1970, les baies de la salle capitulaire, qui avaient été obturées, ont été rouvertes. L’étude documentaire qui nous a été transmise a permis de restituer la chronologie de la plupart de ces interventions, mais quelques incertitudes demeurent, en particulier quant à l’identification exacte des supports et des nervures d’ogives restaurés dans les galeries sud et ouest.

Ainsi, cette nouvelle étude du cloître de Saint-Trophime d’Arles permet d’aborder ce chef d’œuvre bâti non plus exclusivement par le prisme de sa sculpture romane, mais dans sa totalité, à travers toutes les modifications qu’il a subies au fil des siècles. L’identification et la datation – au moins relative – de chacun de ses aménagements permettront de guider sa restauration.

Mélanie CHAILLOU

 

2012-2014

Suite à l’étude archéologique des élévations du cloître de la cathédrale Saint-Trophime conduite en 2011 par M. Chaillou (Hadès), un suivi archéologique des travaux de restauration de ce dernier était, d’une part nécessaire afin d’optimiser la connaissance du site, et d’autre part susceptible d’offrir des réponses à des questions restées en suspens.

Ce suivi archéologique est donc intervenu selon l’avancement des travaux et des besoins qui en découlaient. Par exemple, la galerie sud n’a pas été l’objet de ce suivi puisque les interventions des entreprises se sont cantonnées au nettoyage des parements et sculptures. Seules les déposes de blocs pouvaient offrir des opportunités pour alimenter l’étude précédente.

Les travaux de la galerie nord ont confirmé l’extension du décor lors de l’agrandissement de la salle capitulaire, sur la base du programme décoratif initial présent sur la partie occidentale du mur nord.

La dépose des supports des baies a mis en évidence que les chapiteaux avaient été conçus et taillés pour supporter les arcs des baies, avec seulement deux faces taillées, tandis que les deux autres faces n’étaient qu’épannelées.

Les travaux de la galerie orientale ont permis de mettre au jour, suite à la dépose d’un bouchage de baie dans le mur est, un bloc sculpté figurant une tête humaine (fig. 10). Nous avons pu identifier sa provenance. Cette tête sculptée correspond parfaitement à la sculpture d’un des écoinçons de la galerie orientale qui représente une Vierge sage. Elle pourra ainsi retrouver son emplacement initial.

Dans la galerie occidentale, la dépose de plusieurs blocs du retable a permis d’observer le parement du XIIe siècle, contre lequel avait été construit ce dernier. Ces travaux ont également révélé qu’il se composait de deux phases de construction ou d’aménagement distinctes.

En effet, il semblerait que durant une première phase d’aménagement, un simple autel ait été placé contre le parement du mur occidental, puis durant une seconde phase, l’autel sera transformé en grand retable, sans doute au XVIIe siècle, au regard de son décor.

Les parties basses latérales de celui-ci, issues de cette transformation de la structure, s’appuient clairement contre la partie primitive. La partie supérieure du retable a été mise en œuvre après le bûchement de la surface des blocs du parement occidental, voire même après la dépose de certains blocs pour l’ancrage du nouvel aménagement.

Après la dépose des blocs du retable, nous avons également pu noter la présence d’un enduit avec un décor peint, malheureusement illisible, sur le parement bûché autour de la partie primitive du retable, c’est-à-dire de l’autel. Il nous est toutefois difficile de déterminer si ce dernier correspond au décor peint conservé sur la voûte de la travée d’angle, mais il apparaît qu’il a été mis en œuvre avant la seconde phase d’aménagement.

Au regard de ces observations, nous sommes à même de penser qu’un premier autel a été mis en place dans la travée d’angle, puis la pose d’un décor peint a nécessité le bûchage de la surface du parement occidental sur lequel s’appuyait l’autel. Enfin, l’autel a reçu une nouvelle structure, le transformant ainsi en retable.

Le suivi archéologique de ces travaux de restauration a permis d’éclaircir certains points obscurs de la construction du cloître, qui viennent alors compléter les interrogations de la précédente étude, la rendant la plus exhaustive possible à ce jour.

Laura DEYE