HADÈS Archéologie

Rue Fontgiève

Fiche

Résumé

La fouille préventive réalisée à l’angle des rues Fontgiève, Gautrez et Sainte-Rose à Clermont-Ferrand a été prescrite par le service régional de l’Archéologie de l’Auvergne, dans le cadre d’un projet de construction de logements sociaux et de la nouvelle crèche Barbecot, porté par Logidôme. La parcelle étudiée (1590 m2) se situe sur la frange nord-ouest de la butte centrale sur laquelle s’est installée, dès le Ier siècle de notre ère, la ville d’Augustonemetum (Clermont). L’opération fait suite à un diagnostic réalisé en juin 2011 par D. Parent (Inrap). Elle s’est déroulée du 22 mai au 2 novembre 2012. La fouille a livré de nombreux vestiges témoignant d’une occupation du site depuis le Haut-Empire jusqu’à l’époque moderne. Sept états ont ainsi été définis sur la base d’arguments stratigraphiques appuyés par des données issues des études de mobilier.

Le premier état, daté du deuxième quart du IIe siècle de notre ère, se caractérise par de grands travaux de drainage qui concernent plus particulièrement le réaménagement d’un chenal naturel traversant la parcelle du sud-est vers le nord-ouest. L’origine de ce cours d’eau est inconnue. Il semblerait que le ruissellement ait été relativement peu important. Cet écoulement naturel a été canalisé dans le cadre d’un fossé. Creuser dans les sables indurés du terrain naturel a permis à l’eau de la nappe phréatique de remonter dans le chenal et cet aménagement a, par la même occasion, facilité le drainage des terrains alentour. Un moulin hydraulique a, au même moment, été installé sur la berge occidentale du petit cours d’eau (fig. 1). Il se matérialise par un édicule rectangulaire au sein duquel était installé le mécanisme d’engrenage activé par la roue aménagée dans le chenal. Un canal maçonné permettait par ailleurs de dévier l’eau lorsque l’on souhaitait désactiver ou procéder à l’entretien de la roue. L’hypothèse d’une meunerie hydraulique est étayée par la découverte de nombreux fragments de meules de très grand module. Elle est aussi suggérée par la présence de sablières et de traverses appartenant à une ossature en bois probablement destinée à supporter un mécanisme d’engrenage. C’est également au cours de cet état qu’a été construit un bassin monumental circulaire de 5,20 m de diamètre, ouvert à l’est par un couloir d’accès à plan incliné. L’ouvrage est de construction très soignée. Son sol est revêtu d’un plancher. Sa fonction est indéterminée, même si certains indices pourraient permettre d’envisager une fonction artisanale. Cette proposition est en effet suggérée par la présence de deux « bobines » en bois qui peuvent avoir été utilisées dans le cadre du travail du cuir. Elle découle plus généralement du contexte d’implantation du site qui prend place dans un secteur marginal de la ville antique, où se sont probablement côtoyées des activités artisanales de natures diverses (meunerie, boucherie/tabletterie, tannerie ?).

Le deuxième état, daté de la deuxième moitié du IIe siècle, correspond à des travaux menés sur les installations en relation avec le chenal. Ce dernier est notamment longé, sur l’intégralité du tracé observé, par des maçonneries mesurant plus de 1,30 m de hauteur, formant ainsi un grand canal. Le moulin préexistant a en partie été détruit. La pièce qui accueillait l’ossature d’engrenage a été remblayée, et le niveau de sol de la pièce rehaussé. Le bâtiment a manifestement changé de fonction. Il est possible que la meunerie ait été déplacée sur la berge opposée, à une trentaine de mètres au nord, comme pourrait l’attester la construction d’un petit édicule en bordure de fossé, dont les dispositions reprennent celle du moulin du premier état. La raison qui préside à ces travaux est inconnue, bien qu’il faille envisager des problèmes liés à l’eau. C’est également au cours de cet état qu’un bâtiment a été édifié, au nord-ouest du site, au-dessus d’un puits de captage (fig. 2). La construction est dotée d’un vestibule d’entrée rectangulaire permettant d’accéder à une pièce semi-enterrée au milieu de laquelle ont été aménagés les abords de la résurgence, au niveau du plancher. Ce dispositif se caractérise par l’emploi de dalles de marbre et de calcaire liées par du mortier de tuileau. L’eau provenant du sous-sol était collectée dans une cuve en arkose remployée. Elle était ensuite dirigée au nord du bâtiment, en dehors de la limite d’emprise des fouilles.

Le troisième état d’occupation consacre l’aboutissement d’un projet d’urbanisme illustrant l’expansion de la ville romaine sur sa frange occidentale (fig. 3). Il peut être daté de l’extrême fin du IIe siècle ou, plus vraisemblablement, des premières années du siècle suivant. Les bâtiments ont à ce moment été intégrés au sein d’une trame orthogonale. Le site était par ailleurs traversé par une petite rue cardinale présentant une inclinaison de 29° à partir du nord. Une seconde rue, perpendiculaire à la première, a été repérée sur une surface étroite dans la pointe sud de la parcelle. Les bâtiments s’organisaient autour d’une petite esplanade qui se développe sur tout le quart sud-est de l’emprise de fouille. Elle intégrait le bassin monumental circulaire au nord-est, et longeait le grand canal à l’est et permettait d’accéder à l’édifice construit au-dessus du captage d’eau. Le projet d’urbanisme se caractérise, qui plus est, par la construction de deux grandes ailes de bâtiments installées de part et d’autre de la rue cardinale. La fonction des différentes pièces observées est difficile à déterminer bien qu’il faille envisager la juxtaposition d’espaces domestiques, d’ateliers et de zones de stockage. Le bassin circulaire a également été réaménagé durant cet état. Le plancher préexistant a alors été remplacé par un dallage constitué de blocs de grand module qui semblent participer à la mise en valeur esthétique de l’ouvrage (fig. 4). Ces modifications accompagnent peut-être un changement de fonction qui se tourne probablement vers une dimension publique.

Le quatrième état d’occupation, daté de la première moitié du IIIe siècle, se caractérise par des travaux concernant la réfection, voire le réaménagement des bâtiments préexistants qui, pour la plupart, sont en lien avec l’eau. L’édifice construit au-dessus du captage semble notamment avoir été affecté par des problèmes de remontées de la nappe phréatique, comme l’atteste le rehaussement du plancher qui prend alors place au-dessus d’un vide sanitaire. Le grand canal a par ailleurs fait l’objet de grandes reconstructions qui se sont accompagnées de la création de nouveaux espaces dans la pointe sud du site. Les travaux de ce quatrième état illustrent les difficultés que rencontre le quartier dans le cadre de sa gestion de l’eau. Le réseau hydraulique n’a plus été entretenu à partir de la seconde moitié du IIIe siècle et le site a alors progressivement été déserté par l’habitat.

Le cinquième état d’occupation est le plus délicat à qualifier. Il doit être considéré sur une très longue période s’étalant entre le Bas Empire jusqu’au XIIIsiècle. Ce regroupement, couvrant environ une dizaine de siècles, n’apparaît pas totalement aberrant dans la mesure où, à la charnière du Bas Empire, le site s’oriente vers une vocation agricole, rurale, qui ne prendra fin (du moins en partie) que durant les dernières années du XIIIe siècle avec les constructions de l’état VI. Cet état de fait n’est suggéré que par de maigres indices. En l’absence de données archéologiques et textuelles explicites, l’apport des études paléoenvironnementales s’est avéré déterminant pour la caractérisation de cet espace qui apparaît peu habité durant plusieurs siècles. L’analyse des pollens, des micro-fossiles non polliniques et des diatomées, permet d’envisager un milieu relativement humide, investi par des cultures céréalières ou fourragères.

Le sixième état d’occupation du site, daté de l’extrême fin du XIIIe ou du début du siècle suivant, se caractérise par la présence d’une maison à fond excavé et d’une demeure possédant un statut probablement aisé. Il constitue les prémices d’une phase d’expansion de la ville médiévale en direction du nord-ouest.

Cette phase s’exprime à travers les installations de l’état VII qui feront suite à la mise en place d’un épais remblai destiné à rehausser le niveau de circulation du terrain. Ces travaux considérables ont eu pour premier objectif d’affranchir la zone des contraintes liées à l’humidité du sous-sol. Les constructions forment un ensemble homogène et cohérent caractérisant une occupation de faubourg (fig. 5). On rencontre ainsi, dans l’extrémité orientale du site, des bâtiments modestes qui correspondent peut-être à de petites unités domestiques. À cet ensemble, s’opposent, en limite occidentale et dans la pointe sud de la parcelle, des constructions imposantes qui appartiennent probablement à des complexes relativement vastes. Au nord-ouest, un édifice circulaire, prolongeant vers l’est un bâtiment situé hors emprise, peut être envisagé comme un pigeonnier ou un colombier. Au sud-ouest, un grand bâtiment rectangulaire, se développant sur une surface supérieure à 150 m2, a pu constituer une dépendance d’un grand bâtiment public. L’ensemble s’organise autour d’un vaste espace ouvert accueillant quatre puits qui prennent probablement place au milieu de jardins. Cette occupation, mise en place dans le courant du XIVe siècle, est abandonnée à partir de la première moitié du siècle suivant. À partir de ce moment, la parcelle a été désertée par les constructions et a ensuite été occupée par les jardins de l’Hôpital Général durant l’époque moderne.

Les résultats obtenus offrent une vision renouvelée de ce secteur de la ville dont les occupations gallo-romaine et médiévale ont très longtemps été sous-estimées. La fouille a constitué une fenêtre d’observation privilégiée, permettant d’entrevoir le jeu de développement et de rétraction des infrastructures urbaines de ce quartier, entre le IIe siècle de notre ère et l’époque moderne.

Damien MARTINEZ