HADÈS Archéologie

Pentens

Fiche

Résumé

Période protohistorique

La fouille du site de Pentens a été motivée par le projet d’extension par la société Lafarge ciments de sa carrière de Martres Tolosane. du 25 octobre au 8 décembre 2010, cette opération aura permis de mettre au jour sur un peu plus de 8000 m2, des vestiges du Néolithique final, de la fin du second âge du Fer, éventuellement de la période médiévale et enfin de l’époque moderne.

Le site de Pentens correspond à une soulane, un petit plateau issu d’une ancienne terrasse de la Garonne. Les vestiges concernés par notre fouille se situent dans la partie occidentale de cette terrasse, sur un léger relief délimité à l’ouest-par un étroit vallon. Le fait que le site ait été cultivé jusqu’à une époque très récente a entraîné un très important arasement des structures archéologiques qui s’avèrent dans leur ensemble mal conservées. En outre, la couverture limoneuse de la terrasse ainsi que les diverses structures ont été lessivées par les fluctuations saisonnières de la nappe phréatique ce qui n’a pas facilité la perception de ces dernières, ni l’analyse de leurs comblements.

Le site a tout d’abord livré quelques structures – dont un foyer à galets chauffés ainsi que du mobilier céramique et lithique témoignant d’une fréquentation durant le Néolithique final. Un petit tesson à décor campaniforme a notamment été recueilli dans le comblement d’un fossé postérieur à l’âge du Fer.

Il faut ensuite attendre la fin de l’âge du Fer pour que le site fasse l’objet d’une nouvelle occupation. Pour cette période, ont été mis en évidence deux grands fossés connectés et perpendiculaires l’un à l’autre ainsi que quelques petites fosses. Le fossé septentrional (FO1012), d’axe nord ouest-– sud est, a été suivi sur près de 16 m de longueur, la présence d’une ligne à haute tension empêchant de mieux reconnaître son développement. Le fossé oriental (FO1013), orienté sud ouest-– nord est, a lui, été reconnu sur une soixantaine de mètres avant de disparaître, totalement arasé. Au mieux, le fossé nord est conservé sur 1,04 m de large et 30 cm de profondeur, le fossé oriental sur 1,31 m de large et 52 cm de profondeur. Malgré le médiocre état de conservation de ces structures, il semble vraisemblable de restituer des creusements présentant un profil en V à fond large et plat voire légèrement concave. Quant à leur comblement, il se compose d’une alternance de produits de l’érosion de leurs parois, d’apports anthropiques associant de nombreux galets à des rejets domestiques et de colluvions. Il apparaît que les deux fossés ont fait l’objet d’un recreusement. Les différentes structures protohistoriques ont livré un ensemble céramique relativement conséquent. L’essentiel de la vaisselle correspond à des productions locales ou régionales de céramique commune tournée et dans une moindre part de céramique non tournée. Les importations méditerranéennes sont représentées par trois tessons de campanienne A et par un modeste lot d’amphores gréco italiques. Ce mobilier peut être daté de la seconde moitié du IIe s. av. J. C. Le mobilier métallique est lui, excessivement rare mais la présence d’une scorie tend cependant à attester une production métallurgique. Deux fragments de meules à va et vient en granite ont été par ailleurs collectés. Enfin, de nombreux carporestes carbonisés ont été prélevés ; il s’agit essentiellement de céréales (orge vêtue, millet, blé nu et vêtu).

En définitive, l’implantation du site sur un relief en bordure de terrasse dominant la vallée de la Garonne, la configuration des deux fossés ainsi que les importants rejets domestiques présents dans leur comblement suggèrent que nous sommes bien en présence d’un établissement rural à enclos fossoyé. Le site de Pentens vient donc étoffer pour le sud-ouest de la France, le corpus des fermes indigènes ou plutôt des installations rurales de la fin du second âge du Fer.

Ensuite, à une date qui n’a pu être précisée entre la fin de l’âge du Fer et la période moderne, est créé un vaste réseau orthonormé de fossés (FO1003, FO1015, FO1016 et FO1017). Cet ensemble est manifestement destiné au drainage de la partie basse du relief. Il est certes tentant de le rattacher à l’occupation médiévale mise en évidence au sud est du plateau de Pentens (fouille Y. Henry), mais aucun élément matériel ne permet néanmoins de confirmer cette hypothèse.

Enfin, à l’époque moderne, un grand fossé (FO1014) d’axe nord ouest- sud est se surimpose au réseau de drainage désormais comblé. Cette structure a livré quelques tessons vernissés permettant de la dater des XVIIe XVIIIe siècles.

Julien VIAL

 

Période médiévale

Le site de Pentens est situé sur la commune de Martres-Tolosane, à une soixantaine de kilomètres en amont de Toulouse. Distant d’environ 1 km de la Garonne, il domine la basse plaine et offre vers le sud une vue déga­gée sur la chaîne des Pyrénées. Les vestiges de l’occupation médiévale se développent sur le rebord de la moyenne terrasse attenante au synclinal de Boussens, au sein d’un horizon limoneux formé de colluvions et de sédi­ments remaniés depuis le toit de la terrasse.

Dans le cadre des travaux d’extension d’une carrière de calcaire et d’argile exploitée par l’entreprise Lafarge ciments, une fouille préventive s’y est déroulée entre le 25 octobre et le 15 décembre 2010. Elle a concerné une emprise de 7000 m2 et a révélé l’existence d’un important établissement rural du Moyen Âge central, matérialisé par différentes séries d’aménage­ments en creux.

Les travaux archéologiques ont débuté par l’enlèvement des niveaux de labours sur l’ensemble du site, mené par passes horizontales à l’aide d’un godet lisse jusqu’à l’apparition des vestiges les plus hauts, généralement situés à une quarantaine de centimètres sous la surface des labours, puis ponctuellement, en profondeur, de façon à purger l’ensemble des tranchées ouvertes à l’occasion du diagnostic. Au terme de cette phase préalable, seuls quelques fosses et négatifs de poteaux étaient décelables, notamment dans la partie centrale de l’emprise. En revanche, la plupart des aménage­ments identifiés en coupe dans les tranchées du diagnostic, généralement interprétés comme des grandes fosses ou de larges fossés étaient, au mieux, vaguement perceptibles, selon la densité plus ou moins importante en char­bons de bois incluse dans leur comblement : à ce stade des investigations, aucun interface de creusement linéaire n’était alors restituable en plan. Ces difficultés, qui s’expliquent par la nature faiblement perméable du sol et les conditions de taphonomie des niveaux de colmatage (phénomènes com­binés de lessivage et d’hydromorphie par battements de nappe sur nappe permanente) laissaient imaginer les problèmes auxquels les occupants du site avaient dû faire face lors de leur installation sur les lieux. Le nettoyage et la fouille manuelle ont donc été focalisés sur ces petites structures circu­laires, fortement arasées, parfois conservées sur 10 à 20 cm à peine.

Une seconde campagne de terrassements a été nécessaire pour faire appa­raître les réseaux fossoyés périphériques. Réalisée selon une méthodologie et une profondeur identiques à la première, elle a permis de comprendre l’organisation planimétrique du site, révélant l’image d’un établissement dont l’ampleur et la complexité sont tout à fait saisissantes (fig. 1). Celui-ci se compose de trois ensembles fonctionnels : une plateforme centrale abri­tant les vestiges d’un bâtiment construit en matériaux périssables, délimi­tée par un large fossé annulaire à structure complexe, lui-même ceinturé par un vaste enclos fossoyé, dont le tracé au sud n’a pu être reconnu.

Le noyau central du site correspond à une plateforme de plan ovoïde d’envi­ron 30 m de long par 10 m de large. Elle conservait les traces ténues d’un bâtiment rectangulaire orienté ouest nord-ouest / est sud-est de 90 m2 (18 x 5 m). La restitution du plan, encore lisible à partir des trous de poteau cir­culaires, laisse apparaître un vaisseau unique que délimitent douze néga­tifs : six composent le mur gouttereau nord, cinq le gouttereau sud. Le mur pignon oriental est marqué par trois creusements, tandis que le pignon ouest n’en comporte que deux. Au-delà vers l’ouest, il semble possible de restituer un petit espace attenant au bâtiment, peut-être un appentis ou un enclos. Aucun négatif axial ne suggère une division de l’espace interne, hormis peut-être un trou situé à l’ouest, qui pourrait aussi bien fonctionner avec le pignon occidental, ménageant le cas échéant une toiture à trois pans.

La présence de deux larges excavations transversales, qui semblent desti­nées à recueillir et drainer l’eau en direction du fossé périphérique vient étayer l’hypothèse d’une construction à plancher surélevé. Un second argument tient à l’arasement très prononcé des vestiges du bâtiment, alors que les dimensions de ce dernier induisent un enfouissement important des structures porteuses. De ce constat, on retire l’idée que cette plateforme a été surélevée afin de mettre l’édifice hors-d’eau, en réutilisant de ce fait les volumes de terre importants que le creusement du fossé annulaire a permis d’extraire.

Ce fossé n’a pu être clairement délimité qu’en partie basse, après l’avoir tronqué d’au moins 60 cm de profondeur. La largeur moyenne observée, de l’ordre de 9 m, peut, par extrapolation et compte tenu du profil évasé, être restituée en surface à près de 11 m (cette largeur a pu être observée au niveau du premier décapage dans l’angle nord-est). Mais outre ces dimensions importantes, c’est surtout la structuration très particulière du dispositif en partie basse qui retient l’attention : on observe en effet une juxtaposition de fosses oblongues, dans certains cas curvilinéaires, généralement sépa­rées entre elles par d’étroites bandes de limon en place (niveau encaissant). Ces excavations se rejoignaient en surface et formaient un ensemble coa­lescent. En outre, la fouille plus fine du flanc sud du fossé, réalisée sous la forme de petits sondages disposés en damier, a mis en évidence un système de petites rigoles excavées permettant de faire circuler le flux d’un bas­sin à l’autre (fig. 2). À défaut d’une analyse micro-topographique poussée, ces caractéristiques morphologiques ne trouvent pas encore d’explication fonctionnelle claire. On imagine simplement que dans le cadre d’un fonc­tionnement en eau, un tel dispositif a pu faciliter l’entretien du fossé lors des phases sèches, suite aux accumulations de boues consécutives aux ravi­nements des parois et à la décantation des sédiments.

Ce type de dégradation a d’ailleurs été une source de préoccupation pour les occupants : la présence de plusieurs trous de piquet bordier aménagés dans la paroi interne du fossé, au niveau du flanc nord-est, signale semble-t-il la mise en oeuvre de contreventements, probablement réalisés à l’aide de planches ou de treillis de bois. L’arasement trop prononcé du site n’a pas permis de distinguer d’autres creusements adjacents au fossé ; on ignore donc la forme et la localisation du système de franchissement qui y était nécessairement associé.

Ce noyau principal est intégré dans un vaste enclos fossoyé qui délimite une superficie d’environ 0,36 ha (57 x 80 m). Le tracé de cet ensemble parait s’adapter assez fidèlement au contour du fossé annulaire, respectant par rapport à ce dernier une distance régulière, de l’ordre de 12 m. L’accès se fait depuis le nord-est, selon un système « à recouvrement ». Quelques fosses et trous de poteau se distinguent au sein de l’enclos, notamment au nord, où un groupe signale peut-être l’emplacement d’un petit édicule. Tel qu’il apparait sur le plan de masse, le fossé est discontinu, composé de trois segments d’inégales dimensions : un premier tronçon curvilinéaire de 70 m barre le flanc nord ; à son extrémité est, il est prolongé vers le sud par un deuxième tronçon, rectiligne, de 30 m de long. Enfin, en lisière sud semble se développer un long segment curvilinéaire, qui enveloppe le site sur une centaine de mètres de long. Comme pour le fossé annulaire, l’hypothèse d’un système coalescent est privilégiée.

Premiers éléments d’interprétation

Les mobiliers exhumés révèlent que l’occupation du site de Pentens est relativement brève, corroborant au passage l’image renvoyée par les ves­tiges : leur répartition est homogène ; les recoupements entre structures sont rares, voire inexistants, le plan du bâtiment ne subissant, pour autant que l’on puisse en juger, aucune modification notable. Les assemblages de céramique et les objets métalliques inclinent à situer l’occupation au XIIe siècle, avec de probables prolongements aux débuts du XIIIe siècle. Quatre datations obtenues à partir de fragments de charbons de bois pré­levés dans les niveaux d’abandon des fossés rajeunissent légèrement cette attribution chronologique, entre la fin du second tiers du XIIe et le milieu du XIIIe siècle.

Les dimensions assez importantes du bâtiment central sont probablement liées aux activités domestiques et plus spécialisées qui y ont eu cours, au sein de ce qui pourrait correspondre à une ferme d’exploitation. Modestes à bien des égards (vaisselle courante, architecture légère) les vestiges révèlent à l’examen certains traits « privilégiés » comme les moyens et la technicité déployés pour construire les enceintes de terre, et aussi la présence d’élé­ments de parure, de mobilier équestre ou encore d’armement.

Ces éléments d’interprétation – chronologiques, fonctionnels et statu­taires – s’accordent avec les informations tirées de la documentation écrite, principalement glanées dans le cartulaire de l’abbaye cistercienne de Bon­nefont (implantée sur la commune de Proupiary, distante d’une quinzaine de kilomètres). Plusieurs mentions permettent en effet de suivre l’évolution de Pentens aux XIIe et XIIIe siècles : cité comme possession de l’abbaye « cum omnibus pertinentiis » dans une bulle papale de 1165, le lieu réappa­rait en 1200, toujours assorti de ses dépendances. En 1246, il est qualifié de « grangiam (…) cum molendino, acquediatibus et piscationibus ». L’économie du domaine semble soutenue au XIIIe siècle : une église Saint-Michel de Pentens est mentionnée en 1263, suivie par des lapidaria, en 1266. Hormis une mention de la grange en 1331, il faut attendre le milieu du XVIe siècle pour voir réapparaître le site dans la documentation.

S’il ne peut y avoir de certitude définitive quant à l’identification du site fouillé comme étant la grange cistercienne de Pentens, les éléments rassem­blés montrent selon nous qu’il est raisonnable d’envisager une telle hypo­thèse. Ainsi donc, le site revêt un caractère exceptionnel car l’exploration archéologique d’une grange cistercienne du XIIe siècle demeure rarissime sur le territoire national, voire même inédit dans le cadre spécifique de l’archéologie préventive, qui n’impacte qu’exceptionnellement les zones où ont été implantés ces établissements monastiques : soit du fait de leur isolement en rase campagne, soit en raison de la permanence de certains bâtiments grangiers à travers les siècles, souvent reconstruits, transformés, quand ils n’ont pas donné lieu à la formation d’un hameau ou d’un village.

Yann HENRY, Damien DELAGE