HADÈS Archéologie

La Bouaye

Fiche

  • Responsable : Benoît GARROS
  • Période de fouille : 2010
  • Localité : Le Gosier (Guadeloupe)
  • Période :  ,
  • Agence : OUTRE-MER

Résumé

Cette opération a été motivée par le projet d’aménagement d’un lotissement de la société immobilière SCI Maranatha sur la parcelle cadastrale AH 53 au lieu-dit La Bouaye « Barbès » à Gosier. Le contexte archéologique renseigne une zone occupée par de petites habitations d’époque coloniale figurant sur la carte des Ingénieurs du Roy (1764 1768). Le diagnostic a mis en avant l’impact de ces travaux sur les vestiges d’une ancienne habitation dénommée Laprade dont il subsiste un bâtiment en ruine ainsi que des maçonneries affleurantes au sol. L’intérêt scientifique suscité par le du site a conduit le Service Régional de l’Archéologie à prescrire une fouille. Cette opération préventive fait suite à un diagnostic réalisé en décembre 2009 ayant révélé un ensemble de vestiges immobiliers et mobiliers d’époque coloniale.

Le site établi sur un éperon, dans la région des Grands Fonds à 3 km de Gosier, au sein d’un relief accidenté de mornes calcaires, culmine autour de 80 m d’altitude et domine la topographie environnante.

Les résultats scientifiques permettent de dresser un bilan positif. Le premier constat que l’on peut faire concerne le potentiel archéologique du site. D’ores et déjà, on ne manquera pas de rappeler que l’étude porte uniquement sur une partie de l’occupation. Le site, dans son extension maximale, occupe vraisemblablement une large part de la surface sommitale du morne comme le laisse à penser la carte des Ingénieurs du Roy. Il convient donc de mettre en œuvre une surveillance accrue des parcelles voisines. La fouille a permis de compléter les données du diagnostic en mettant au jour les traces ténues et inattendues pour cette région des Grands Fonds d’un signal d’époque précolombienne. Par ailleurs, une densité d’aménagements coloniaux dépassant de manière significative les prévisions envisagées a été découverte. On dénombre ainsi 495 faits dont 438 structures fossoyées. Cet ensemble met en avant une grande homogénéité tant sur le plan de la typologie des vestiges que sur leur datation. L’occupation coloniale s’échelonne de la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle (fig. a).

Les indices précolombiens perçus ont fait l’objet d’un questionnement en aveugle, car leur perception n’a été possible qu’à la lumière des résultats d’analyse radiocarbone et des conclusions chrono culturelles de l’étude céramique de neuf tessons en position secondaire. Rien ne laissait présager l’existence de témoins de cette période. Pour autant, la mise en évidence de cette première ouverture du milieu, caractérisée, semble-t-il par, un essartage et l’existence d’un sol ancien dépourvu de structures, ouvre des perspectives de recherche sur les lieux d’implantation et d’activité de ces populations dans ce secteur de la Grande Terre. S’agit-il d’un mode de récolte sporadique, le temps de recueillir les éléments de subsistance ou matériaux nécessaires ? À ce jour, on dispose de trop peu d’éléments pour caractériser précisément cette occupation.

L’étude a essentiellement révélé l’existence d’une occupation coloniale. Les archives font preuve d’une grande indigence à l’égard de Jean Baptiste Laprade, propriétaire de l’habitation qui exerçait également les charges d’huissier au conseil supérieur de la Guadeloupe et de sergent royal de Grande Terre en 1736. Aucun document ne mentionne précisément son bien. Il subsiste également des incertitudes concernant la transmission de l’habitation à ses héritiers, les familles Besson et Boursoy, à sa mort en 1777.

La fouille a permis la reconnaissance de onze bâtiments et de douze groupes d’aménagements répartis en trois grands ensembles. Le premier, au sud, se démarque très nettement par l’aménagement d’une terrasse artificielle d’un peu moins d’une centaine de mètres carrés sur le front méridional de l’éperon à l’aide de remblais et de blocs calcaires. Cette réalisation témoigne, à plus d’un titre, de la volonté de s’implanter sur ce site en dépit de certaines contraintes topographiques qui ont nécessité le terrassement d’une partie du sommet du morne.

Le bâtiment 1est assimilable à un magasin de 8,25 m de long et 5,40 m de large.

Il a fait l’objet de plusieurs réfections importantes au cours de trois états de fonctionnements (fig. b). Il présente un soubassement maçonné en moellons, vraisemblablement de type mur bahut, supportant une structure porteuse en bois dont les négatifs de poteaux sont encore visibles dans l’élévation adjacente de l’édifice 2. Ce dernier, de facture massive, présente un plan rectangulaire de 6,50 m de long et 4 m de large avec une épaisseur de mur de l’ordre de 1 m (fig. c). Il abrite deux pièces voutées disposant de pitons métalliques en relation avec des négatifs d’anneaux qui soulignent le caractère carcéral du bâti (fig. d). Contre le cachot on peut observer une citerne de 12 m2 fonctionnant avec deux bassins. L’alimentation est assurée par un caniveau qui récupère les eaux pluviales le long des bâtiments 1 et 2. L’aménagement de cette zone est complété par un sol en carreaux similaire à celui perçu devant le cachot (fig. e). Cette partie du site est également occupée par la construction successive de deux unités d’occupation sur poteaux. Le bâtiment 3, de plan carré de 6 m de long, fait place à l’édifice 4 à la superficie plus importante de 60 m2. Leurs implantations au sein du site et l’architecture mise en œuvre suggèrent l’identification d’une maison de maître (fig. f).

Le second ensemble est matérialisé par trois bâtiments au centre du plateau (BAT 10, 13 et 15). Leurs surfaces respectives de 12, 25 et 46 m2. Les plans, les dimensions ainsi que la localisation des édifices procèdent d’une logique différente et laissent à penser que ces unités relèvent peut être d’une fonction domestique ou agro artisanale (fig. g). Toutefois, l’absence de mobilier caractérisant ne permet pas d’affiner cette hypothèse.

Enfin, la dernière zone concentre des unités d’occupation de taille plus réduite (en moyenne 12 m2) au plan plus ou moins régulier qui s’apparentent à des cases d’esclaves (fig. h). Il est possible d’identifier ici le quartier servile de l’habitation comprenant trois bâtiments avérés (BAT 16, 17 23) et quatre ensembles pour lesquels de fortes présomptions plaident en faveur de cases (GA 20, 21, 22, 24). Le positionnement primaire de certains de ces vestiges permet d’envisager une partie de l’évolution de l’habitat servile. On passe ainsi d’une structure sur poteaux, attribuable au XVIIIe siècle, à une substruction en pierre sous forme de soubassement sur lequel est superposée une case, caractéristique de la fin du XVIIIe début des XIXe siècles.

Il ressort de l’étude une variété morphologique et dimensionnelle de plans architecturaux. Les mises en œuvre différentes, pour certaines largement pérennes à l’aide de la pierre et pour d’autres plus rudimentaires sur poteaux, témoignent sans nul doute d’une programmation à l’échelle du site et d’une diversité fonctionnelle. La gestion « raisonnée » de l’espace fait ressortir une implantation cohérente des unités d’occupation. Elle se traduit notamment par l’existence d’une zone vierge de structure qu’il est possible d’interpréter comme un cheminement central de part et d’autre duquel se répartissent les bâtiments. Les résultats des études du mobilier mettent en avant des assemblages homogènes suggérant une occupation qui s’établit dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et perdure jusqu’au début du XIXe siècle. Le matériel ainsi que les éléments de chronologie relative n’indiquent pas de rupture dans l’occupation qui, par ailleurs, est relativement courte probablement à l’échelle d’une ou deux générations.

En ce qui concerne la nature de cette occupation, l’ensemble des données recueillies nous permet d’identifier une habitation et d’appréhender avec plus ou moins de précisions ses réalités sociale, spatiale et économique. L’aspect social est illustré par la présence du cachot et des cases. En l’absence de témoignages des archives, ils suggèrent la coexistence sur un même site d’un maître et d’une population servile. Dans la mesure du possible nous avons tenté de cerner l’organisation du site. La représentation qui en est faite sur la carte des Ingénieurs du Roy restituerait en partie cette réalité avec une occupation s’étendant sur une large part du sommet du morne (fig. i). Toutefois, la fouille aura permis de mettre en évidence des particularismes concernant la zone maître et d’apporter des données inédites sur l’habitat servile et son évolution. En ce sens, elle constitue un apport supplémentaire au corpus typologique de l’habitat guadeloupéen. En revanche, il est délicat d’appréhender sa dimension économique faute d’archives. Il apparaît probable compte tenu du contexte historique et géographique que la production de café soit la plus crédible. Jean Baptiste Laprade ferait ainsi partie de ces « petits blancs » qui, dans les années 1765 1785, ont profité de l’essor des cultures spéculatives secondaires et qui ont vu leur activité décliner avec la récession que connaissent ces denrées au début du XIXe siècle. L’hypothèse d’une caféière est envisageable, mais doit être considérée avec précaution, car les vestiges et le mobilier ne nous ont pas permis d’identifier les éléments emblématiques de ce type d’exploitation. Cette occupation illustre qu’en dehors du schéma traditionnel de l’habitation qui prédomine dans l’iconographie des XVIIe et XVIIIe siècles, la réalité fait preuve d’un peu plus de diversité. Elle met également l’accent sur l’hétérogénéité des parcours des colons qui évoluent en dehors de la caste des grands maîtres.

Benoît GARROS