HADÈS Archéologie

Couvent des Clarisses

Fiche

  • Responsable : Carole PUIG, Élise LAURENCEAU, Sandrine CONAN, Julien DENIS
  • Période de fouille : 1998, 2002, 2003
  • Localité : Perpignan (Pyrénées-Orientales)
  • Période :  , ,
  • Agence : MIDI

Résumé

 

1998, étude documentaire

Le couvent des Clarisses de Perpignan, au pied de la citadelle des rois de Majorque et aux franges supérieures de la ville ancienne, participe d’une couronne d’établissements monastiques établis lors des grands travaux de fortification du milieu du XVIe siècle. de ce fait, l’édifice tient une place significative dans l’histoire de la constitution de la ville.

Intérêt de l’édifice

L’intérêt offert par l’ancien couvent des Clarisses de Perpignan réside davantage dans l’édifice monastique initial, en grande partie conservé, que dans l’édifice carcéral qui s’est établi dans ses murs au XIXe siècle.

À la qualité architecturale proprement dite de l’église et du cloître qui restent les parties les mieux préservées du couvent, s’ajoute du point de vue de l’archéologie et de l’histoire de l’art, l’intérêt offert par un édifice documenté et assez précisément daté, édifice dont subsistent certaines parties rarement conservées ailleurs, et notamment les pièces de charpente. Il convient de préciser enfin que l’identité du maître d’œuvre en est connue et que les circonstances de la fondation du couvent en 1548 sous l’autorité de Charles Quint lui confèrent une valeur emblématique ajoutée justifiant pleinement le statut de « monument historique » de ce couvent royal.

Pour autant, l’intérêt offert par les aménagements carcéraux, initiés dès les tout débuts du Premier Empire, est loin d’être négligeable même s’il relève du second plan. Phase importante dans l’histoire de l’édifice, cet aménagement, pour ses campagnes de travaux les plus anciennes, est par ailleurs assez bien renseigné. Il manque en revanche d’homogénéité, les différentes campagnes de construction, nombreuses, s’étant succédé sans programme d’ensemble et au gré de maîtres d’œuvre et d’exécutants variés.

Nombreux selon les sources documentaires, les aménagements du XVIIIe siècle n’ont laissé en revanche que peu de traces tangibles, ne livrant aucune lecture complémentaire réellement cohérente.

Carole PUIG, Élise LAURENCEAU

1998, étude du bâti

La construction au XVIe s.

L’ensemble des bâtiments est construit en assises de briques ou de galets inclinés, parfois en maçonnerie mixte . Un rang de briques sépare chaque assise de la suivante. La maçonnerie de brique seule est réservée aux chaînages, aux arases de murs sous toitures, aux arcs, portes, fenêtres et arcatures du cloître. Il faut souligner que sur le clocher, elle est majoritaire. Ces matériaux permettent une édification rapide et économique à l’exemple des autres monastères des ordres mendiants de Perpignan.

La construction est particulièrement régulière à partir de modules simples et se caractérise par une grande sobriété et de vastes dimensions. Largement inspirée de l’architecture locale, la création n’est pas originale mais mérite une attention particulière.

Le cloître occupe le centre du couvent. Il est bordé à l’est par l’église flanquée d’une tour clocher, au sud, à l’ouest et au nord, par de grands corps de bâtiments.

L’entrée du monastère se trouvait sur l’actuelle rue du Général Dérroja. Mais on ignore si elle s’effectuait par le porche qui précède l’église ou par un bâtiment adjacent. L’église est un vaste édifice de plan rectangulaire, conservé presque intégralement. La façade sur rue présentait sans aucun doute une élévation identique à celle aujourd’hui visible. Le rez-de-chaussée était percé de trois grandes arcades retombant sur des piédroits en marbre et le premier étage de trois baies également en plein cintre. Un grand domine le tout. Cette façade est très proche de celle de l’église Notre-Dame la Réal (XIVe s.), située à quelques pas du couvent.

La nef unique, précédée au nord par un massif tripartite ouvert sur la rue Derroja, est bordée de huit chapelles et le chœur, plus étroit, de deux grandes salles. À l’extrémité nord du premier étage, à l’opposé du chœur liturgique, une tribune était réservée aux clarisses qui pouvaient ainsi assister aux offices sans être vues par les fidèles. Son accès a pu être modifié lors des travaux du XIXe s.

La nef est couverte d’une charpente portant sur des arcs diaphragmes brisés. Les pannes pourraient être d’origine. En revanche, les chevrons et les voligeages ont été remplacés. des voûtes à croisées d’ogives couvrent le porche, le chœur et la tribune. Quant aux salles adjacentes au chœur, elles devaient être dotées de planchers de bois séparant le rez-de-chaussée du premier étage. À l’extérieur, les couvertures reproduisaient la partition des volumes de l’église. Le chœur, la nef et la tribune étaient couverts d’une haute toiture à deux versants et les parties latérales de l’église, plus basses, en appentis .

La connaissance sur l’éclairage de l’église au XVIe s. n’a pu être parfaitement élucidée. Les sondages archéologiques et l’observation des murs ont permis de mettre au jour la présence d’oculi dans les hauteurs de la nef, mais ces ouvertures de petit diamètre restent insuffisantes pour un tel édifice. La nef devait donc prendre le jour indirectement à partir des chapelles latérales. Il semble certain que celles-ci possédaient des fenêtres placées contre la voûte. Mais la mise en place de nouvelles baies en pierre de taille à l’époque carcérale paraît les avoir entièrement détruites. L’état actuel du chœur ne permet plus de connaître l’éventuelle existence de baies. L’unique vestige d’une fenêtre contemporaine de la construction est à arc segmentaire en brique.

L’édifice communiquait, au sud avec un bâtiment de grande ampleur, à l’ouest-avec le cloître et à l’est avec les jardins.

De plan carré, le cloître est entièrement construit en briques et composé de deux galeries superposées, ouvertes sur le préau par une série d’arcades en plein cintre sur mur bahut. Il est possible qu’une citerne ait existé en son centre mais sa présence n’est attestée qu’au XVIIIe s.

Dans le bâtiment sud, le dortoir des religieuses occupait la surface totale du premier étage. Le rez-de-chaussée était divisé par un passage central reliant le cloître aux jardins sud. À ce niveau, l’affectation des salles reste difficile à identifier. En particulier, on ignore si la salle du Chapitre occupait l’une des salles ouvrant sur le cloître. En revanche, le réfectoire semble avoir été localisé à partir des modifications apportées au XVIIIe s. (voir infra).

Malheureusement, le reste des bâtiments conventuels au nord et à l’ouest du cloître n’étant pas entièrement accessibles, la connaissance de la distribution générale du couvent reste lacunaire.

Les bâtiments, bien que vastes, sont d’une grande sobriété, en accord avec l’esprit de pauvreté des clarisses. La sculpture monumentale est uniquement présente dans deux (voire trois) clefs de voûte. Celle du chœur porte les armes de Charles Quint en hommage au fondateur du couvent. À l’origine, l’ornementation des murs semble avoir été très sobre. Dans l’église et une salle du bâtiment sud, un enduit blanc est couvert d’un simple badigeon ocre rosé à gris clair. des décors peints, de couleur rouge ont été repérés sur le mur sud du chœur et une croix de consécration est peinte au-dessus de la porte d’entrée de l’église (mur nord de la première travée de nef).

Les remaniements des XVIIe et XVIIIe s.

Les aménagements postérieurs au XVIe s. n’entraînent pas de transformations architecturales majeures. Quelques percements nouveaux modifient la distribution intérieure. Les arcades de la galerie inférieure du cloître sont consolidées par l’adjonction d’une archivolte en briques sans chanfrein.

L’essentiel des apports des XVIIe et XVIIIe s. concerne le décor de quelques parties des bâtiments.

Grâce à l’étude historique, les vestiges de peintures, subsistant dans le chœur de l’église et sur le mur qui ferme la tribune des religieuses, peuvent être datés postérieurement à 1781. Les deux salles, occupant le rez-de-chaussée de la partie occidentale du bâtiment sud, reçoivent également une nouvelle ornementation. Le plafond de l’une d’elles a reçu un décor en plâtre de style Louis XV. Dans la salle adjacente, à l’ouest, un mur conserve des vestiges de peintures identiques à celles du chœur. Son plafond à caissons peint en gris bleu est supporté par une série de poutres ornées de motifs géométriques. Plusieurs indices permettent d’identifier cette salle comme étant le réfectoire du XVIe s., embelli au XVIIIe s.

L’aménagement carcéral (XIXe-XXe s.)

Le choix du couvent pour y installer un établissement pénitentiaire permettait une transformation aisée et rapide. Grâce au repérage des maçonneries et à la typologie des ouvertures, la restitution d’une chronologie relative est assez claire.

Les modifications apportées au plan des bâtiments permettent de présenter cet aménagement en deux grandes étapes : l’état carcéral 1 (1802 à 1830) et l’état carcéral 2 (1830 à 1986).

Ces deux étapes sont caractérisées par une maçonnerie différente du XVIe s. et surtout par l’utilisation de modèles d’ouvertures variés.

État carcéral 1

Les anciens bâtiments du couvent (église, bâtiment sud et cloître) sont rigoureusement séparés les uns des autres. Les premiers travaux s’effectuent dans l’église qui est divisée en deux parties. La nef et les chapelles latérales sont alors réservées aux hommes, le chœur et les salles adjacentes aux femmes. Le premier étage est entièrement occupé et toutes les cellules supérieures sont couvertes par une voûte en berceau. Les ouvertures semblent être d’abord construites en briques mais sont très vite remplacées par des ouvrages en tuf, plus solide.

La multiplication des divisions entre les peines et les délits rend nécessaire l’utilisation du bâtiment sud comme lieu d’enfermement. L’observation de la façade sud montre un aménagement soigné, avec une ordonnance des ouvertures régulière. L’utilisation de la brique pour les baies indique que ce bâtiment était en partie réservé aux femmes, alors que les salles réservées aux hommes sont munies de nouvelles fenêtres, vraisemblablement renforcées à partir de 1820 par des encadrements en pierres de taille munis de grilles bombées. Cette année-là, un grand projet d’amélioration de la prison est engagé. Les vestiges ne semblent pourtant pas conséquents et se traduisent surtout par le ravalement de la façade (dessin actuel) et la construction d’une tribune dans le chœur de l’église pour permettre aux femmes d’assister aux offices religieux.

État carcéral 2

A partir des années 1830, le mode de détention des prisonniers passe du système en commun au système individuel. Cette réforme se traduit à Perpignan par la suppression des galeries en balcon de la nef et la division des cellules supérieures. Cette étape entraîne nécessairement des modifications dans l’organisation de la distribution intérieure et marque le point de départ de l’état carcéral 2. L’aménagement de grands escaliers, au début des années 1850, facilite la distribution entre les différentes parties des bâtiments. Le retour au système pénitentiaire en commun sous le Second Empire et le renouveau de la religion dans les établissements carcéraux favorisent la construction de chapelles monumentales comme celle qui subsiste aujourd’hui dans la nef de l’église de style néo médiéval, datée des années 1858-1859.

Le plan de la prison de Perpignan semble acquis à la fin des années 1850. Il ne subit pas de transformations majeures jusqu’à sa fermeture en 1986, malgré la construction de bâtiments supplémentaires, dont ne subsistent que quelques traces, dans les préaux sud et le cloître.

Sandrine CONAN

2002, sondages

En 1998, la municipalité de Perpignan avait confié au bureau d’études archéologiques Hadès une première étude archéologique du bâti précédée d’une étude documentaire effectuée par Carole Puig et Elise Lauranceau. La confrontation de ces travaux avait permis de retracer les grandes phases de construction et de modifications qu’avait connu le couvent depuis sa création jusqu’au XXe siècle.

L’absence d’une étude de l’ensemble des bâtiments monastiques l’aile ouest du couvent appartenant au Conseil Général des Pyrénées Orientales n’avait pas permis de rendre compte de l’organisation générale du couvent. Certains espaces, comme le dortoir, l’infirmerie et la sacristie, avaient pu être en partie localisés tandis que la salle du Chapitre et le réfectoire étaient supposés se situer au rez-de-chaussée de l’aile sud.

Ces deux salles attenantes qui s’ouvrent sur la galerie sud du cloître sont aujourd’hui concernées par un programme de réhabilitation. Avant d’engager tous travaux, la municipalité de Perpignan a souhaité que soient effectués des sondages sur les murs de la salle capitulaire afin de s’assurer de l’hypothèse émise en 1998. Selon les sources historiques, cette salle consacrée possédait un autel surmonté d’un enfeu dans lequel avait été inhumée en 1676, sœur Anna Maria Antigo, élue abbesse du couvent en 1645. En 1771, le cercueil de la religieuse est déplacé dans une excavation à gauche de l’autel, afin de laisser la place à un crucifix.

Ces données nous ont donc conduits à proposer des sondages sur les murs est, ouest et sud de la salle. Les parements ont été mis à nu sur toute leur longueur et sur une hauteur de 1 m. des ouvertures plus grandes ont été effectuées lorsque cela s’avérait nécessaire. L’étude de terrain s’est déroulée sur deux jours, les 18 et 19 mars. Chaque sondage a fait l’objet d’un relevé, d’une analyse et d’une couverture photographique.

Sandrine CONAN

2003

Le couvent des Clarisses a été édifié au milieu du XVIe siècle, sous l’autorité de Charles Quint. Transformé en prison à partir de la Révolution, il n’a été désaffecté qu’en 1986. En complément d’une solide étude archéologique des élévations de l’église et de l’aile sud, réalisée par Hadès et G. séraphin en 1998, de nouvelles recherches ont été demandées. Celles ci devaient répondre à des questions soulevées par M. Weets, Architecte en Chef des Monuments Historiques, dans le cadre d’une étude préalable à la réhabilitation des bâtiments et par la Ville de Perpignan.

L’analyse de certaines maçonneries après piquetage a permis, à l’étage, d’évaluer l’état de conservation des arcades de la galerie supérieure du cloître, de préciser la chronologie du mur ouest de l’église, d’établir la distribution et les communications existantes dans les anciens dortoirs lors du premier état carcéral et d’identifier les vestiges d’une grande baie qui permettait la communication entre le porche d’entrée du couvent et la nef de l’église. En outre, un sondage réalisé à cet endroit, entre porche et nef, a précisé les niveaux du sol ancien (XVIe siècle) et de ceux liés à l’établissement carcéral. Le sondage mené dans la salle du chapitre a fait apparaître deux caveaux parallèles, voûtés en brique, aux dimensions assez semblables, de 3,25 m de long sur 1,23 m de large. À l’origine, ils ne communiquaient pas entre eux et on y accédait par une trappe carrée située au milieu de la voûte. Un texte nous précise que c’est en 1782 qu’est aménagé le troisième caveau mis au jour, plus grand (4,30 m de long sur 2,73 m de large), chevauchant sur le prolongement des premiers et débordant jusque sous la galerie sud du cloître. Quant à l’accès à ce caveau, il s’effectue indistinctement par l’un ou l’autre des deux précédents, une porte ayant à chaque fois été percée sur la zone de recouvrement des voûtes. Le comblement de ces caveaux était essentiellement composé de gravats et de remblais de démolition. Seule une couche plus limoneuse, à la base, contenait quelques ossements anciennement déplacés. Le sol est constitué d’un pavage de dalles d’ardoises (établi en 1782). Dans la cour du cloître, au devant de la salle du Chapitre et au centre du préau, un sondage avait pour but de localiser une citerne mentionnée par les sources écrites du XVIIIe siècle, mais aucune trace tangible n’en a été retrouvée.

Le relevé et l’analyse des élévations de la façade orientale du couvent (récemment décrépie) a conduit à une chronologie des maçonneries et de ses percements. Peu de baies du XVIe siècle subsistent, détruites par les travaux postérieurs. Après une surélévation de l’église, au-dessus des chapelles, vers 1805, c’est en fait la phase d’aménagement carcéral des années 1805 1809 qui a le plus marqué l’élévation, avec une réelle composition de façade (alignement des fenêtres, tours latrines).

Julien DENIS