HADÈS Archéologie

Collège Eugène Vigne

Fiche

Résumé

Cette fouille préventive, préalable à la reconstruction du collège Eugène Vigne à Beaucaire, a fait suite à une série de diagnostics réalisés par l’Afan en 1998 et 1999. Cette évaluation avait révélé la présence de vestiges du Haut-Empire (dont deux incinérations) et d’un four de potier daté des XIVe-XVe siècles.

La parcelle explorée couvre une superficie de 2000 m2 environ. Elle se trouve au pied de la colline du Sizen, à l’extérieur de la ville médiévale. Deux principales occupations ont été reconnues dans les limites de l’emprise fouillée (fig. 1) : une nécropole à incinérations du deuxième âge du fer et des aménagements à vocation artisanale, essentiellement des fours de potiers, datant du bas Moyen Âge.

La nécropole du 2e âge du fer est située dans la moitié septentrionale de l’emprise et s’étend, selon un axe ONO-ESE, sur une trentaine de mètres de long et sur 3 à 4 m de large en moyenne. Les études réalisées sur le mobilier céramique et métallique indiquent que la nécropole a fonctionné durant une période relativement longue : les éléments les plus anciens datent en effet du tournant des Ve-IVe siècles av. n. è., et les plus récents de la charnière des IIe-Ier siècles av. n. è. Cela dit, toutes les périodes ne sont pas également représentées et la plupart des sépultures découvertes sont attribuées à une période se situant entre les IVe et IIIe siècles av. n. è.

Le contexte récent (IIe-Ier siècles av. n. è) se résume à deux tombes, implantées au cœur de la nécropole, et à une vaste fosse isolée dont la fonction reste énigmatique.

Le contexte ancien (IVe-IIIe siècles av. n. è.) est représenté par une aire de crémation, 109 fosses, dont 91 sépultures à incinération attestées, ayant livré les restes d’au moins 109 individus de tout âge. Cette occupation se caractérise par une gestion funéraire raisonnée (loculi relativement standardisés, faible fréquence de recoupements entre sépultures, possible dispositif de signalisation des tombes en surface sous la forme d’une chape de galets rubéfiés…) et une variété des pratiques funéraires exercées. Cinq catégories de dépôts ont pu être identifiées en fonction de la composition osseuse des amas et de leur assemblage mobilier : absence de restes osseux, absence de mobilier, présence de vestiges osseux et de rares tessons de céramique parfois associés à des perles et ou des objets en métal plus ou moins fragmentaires, richesse en mobilier métallique et/ou en céramique non tournée ou encore présence d’un vase ossuaire (fig. 2).

Les défunts ont été incinérés à l’état de cadavre, parfois accompagnés de mobilier céramique et/ou métallique, sur des bûchers de plein air prenant très vraisemblablement place au cœur de la nécropole. Les dépôts des résidus de crémation au sein des tombes ne répondent à aucune spécialisation zonale de l’espace funéraire. En revanche, les défunts inhumés dans le comblement des fosses semblent avoir bénéficié d’un traitement funéraire distinct en fonction de leur degré de maturité et de la région anatomique considérée. A contrario, alors que l’inhumation de l’urne semble normalisée avec l’usage spécifique – à des fins funéraires – d’une céramique non tournée à cuisson fumigée, les dépôts effectués dans ces vases ossuaires ne semblent pas présenter de caractéristiques particulières.

Les structures artisanales médiévales se concentrent dans la partie méridionale de l’emprise de fouille et semblent correspondre à trois unités de production distinctes, installées dans un faubourg de la ville médiévale, le long de l’ancienne route de Nîmes (fig. 1).

À l’ouest, un four de potier de plan circulaire et d’un diamètre de 2 m environ a été repéré (fig. 3). À quelques mètres au sud, les vestiges de deux bâtiments excavés ont été mis au jour. Ces espaces sont assez mal conservés et aucun indice ne permet de déterminer précisément leur fonction. Néanmoins, leur proximité avec le four et les indices chronologiques recueillis (mobilier, datations 14C) les rattachent avec vraisemblance à l’occupation artisanale du secteur.

Au centre de l’emprise, plusieurs fours de potier ont été identifiés (fig. 4). Ils sont tous à peu près disposés selon la même orientation nord-est – sud-ouest. Le plus ancien est un four « à languette », long de 6,50 m environ, présentant plusieurs réaménagements. Sa fosse d’accès est fermée au sud par un mur en pierre sèche, équipé d’un escalier et percé d’une porte. Celle-ci débouchait probablement dans un bâtiment qui devait se développer vers le sud, hors de l’emprise de fouille. Ce premier four de potier a été comblé et en partie recoupé lors de la mise en place d’un second, situé au nord et dans le même axe. D’une longueur totale de plus de 7 m, ce four oblong est équipé de deux murets axiaux qui supportaient la sole, disparue. La porte du foyer, intégralement conservée, est composée de deux arcs clavés juxtaposés.

Sur leur flanc est, ces fours en enfilade sont longés par un drain qui permettait de les maintenir à l’abri de l’humidité. Ce petit fossé déversait visiblement une partie de son flux dans une grande fosse quadrangulaire, partiellement observée et interprétée comme un bassin.

À l’ouest de cet ensemble prend place un petit four circulaire, d’un diamètre de 1,20 m environ. Sa vocation potière n’est pas totalement assurée, mais cette hypothèse demeure la plus vraisemblable. Un espace couvert de type appentis jouxte ce petit four à l’ouest.

Enfin, dans l’angle sud-est de la parcelle, la fouille a révélé la présence d’un petit foyer et d’une structure de cuisson dont la fonction n’a pu être clairement définie (fig. e). Il s’agit d’une excavation circulaire mesurant 1,20 m de diamètre environ et profonde de 1 m, se prolongeant vers l’ouest par une fosse oblongue. Ces deux structures sont contemporaines et entretiennent sans doute un lien fonctionnel qui, à ce stade de l’enquête, demeure inconnu.

Ces trois secteurs ont livré un mobilier céramique abondant qui permet de connaître les productions des ateliers mis au jour. Celles-ci se répartissent, de manière inégale, en deux grandes catégories. D’une part, il s’agit de poteries communes glaçurées à pâte kaolinitique. Les formes identifiées (marmites, jattes, poêlons…) sont essentiellement destinées à un usage culinaire (fig. 5). Par l’argile utilisée comme par le répertoire des formes, ces poteries sont assimilables à celles du « groupe de l’Uzège », très largement diffusées dans le Midi méditerranéen à partir du XIVe siècle. D’autre part, les ateliers identifiés ont produit en faible quantité des vases émaillés, monochromes ou décorés en vert et brun. Ces récipients ont été majoritairement réalisés dans une argile calcaire. Le répertoire des formes (cruches, coupes, bols…) renvoie à la table et au service (fig. 6). L’existence d’une production de faïences dites du « groupe de Beaucaire », aux caractéristiques techniques et formelles bien marquées, était pressentie depuis plusieurs décennies. Cette hypothèse semble avoir trouvé ici sa pleine confirmation archéologique.

Les mesures archéométriques réalisées (archéomagnétisme, 14C), la numismatique, l’analyse typologique des poteries et l’étude des autres mobiliers (verre, métal) convergent pour situer l’activité de ces ateliers dans le courant du XIVe siècle.

Au bilan, les apports de cette fouille sont multiples et de première importance, tant pour l’histoire locale que pour l’ensemble du Midi méditerranéen. Tout d’abord, elle a confirmé la densité de l’occupation funéraire du pied de la colline du Sizen au cours du deuxième âge du fer. Dans le détail, il apparaît que la nécropole mise au jour forme l’un des ensembles les plus conséquents pour la région (Languedoc oriental) et la période considérées.

Concernant la période médiévale, ces investigations ont mis au jour un complexe potier riche de plusieurs fours et bâtiments en activité au cours du XIVe siècle. Il est tentant de mettre en relation ces découvertes avec un texte de 1339 qui mentionne des officines de potiers à Beaucaire, même si les données archéologiques et cette source textuelle ne concordent pas tout à fait. Malgré tout, les productions beaucairoises mise en évidence par le biais de cette fouille fournissent quelques pistes d’interprétation d’ordre véritablement historique. Sous couvert d’analyses complémentaires, l’hypothèse d’une production uzégeoise délocalisée pourrait être envisagée. Il conviendrait alors de lier l’existence des ateliers mis au jour à l’importance de la ville de Beaucaire, chef-lieu de sénéchaussée, et point de passage important pour le commerce entre la France, les États Pontificaux et la Provence. La fabrication sur place de faïences pourrait puiser ses racines dans ce même terreau, propice aux échanges. La qualité des commanditaires régionaux, gravitant dans la sphère de la Papauté nouvellement installée à Avignon, pourrait ainsi constituer un facteur déterminant dans cette situation. Ce terrain économique favorable pourrait expliquer, d’une part, la fabrication sur place de vaisselle fine de qualité et, d’autre part, le déplacement de matière première, et probablement de savoir-faire, en provenance de l’Uzège, afin de placer les potiers au plus près de l’axe rhodanien.

Rémi CARME