HADÈS Archéologie

Cathédrale Saint-Pierre

Fiche

Résumé

Dans le cadre d’un projet de restauration générale de la façade occidentale de la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême et pour arrêter des partis-pris intelligibles, la direction régionale des Affaires culturelles de Poitou-Charentes (services des Monuments Historiques et de l’Archéologie) a prescrit une étude archéologique préalable afin de renseigner la complexité constructive de l’édifice et son état de conservation générale (fig. 1).

Cette façade richement ornée de sculptures compose un mur-écran de plusieurs registres architecturés et sculptés. Sa construction a été amorcée dans la première moitié du XIIe siècle, au temps de l’évêque et légat pontifical Girard II (1102-1135) et du comte d’Angoulême Vulgrin Taillefer (1120-1140), en plusieurs campagnes rapprochées, et a subi au cours des temps des mutilations et surtout plusieurs tranches de travaux de restauration, à la fin du XVIe siècle après le siège de la ville par les protestants, puis particulièrement entre les années 1850-1875 avec les réfections des architectes Paul Abadie et Edouard Warin. De ce point de vue, une identification précise des zones retouchées s’imposait dans la perspective d’établir une critique argumentée d’authenticité. En outre, le chantier de construction initial est mal connu, tant sur le plan historique par la faiblesse des sources documentaires conservées qu’en raison aussi de l’absence d’études sur les phases constructives, les approvisionnements de matériaux et les mises en œuvre que donnerait à voir une analyse fine de chaque assise et blocs de pierre du monument. Enfin, le programme décoratif est complexe, brouillé déjà par l’éclectisme du message sculpté associant plusieurs thématiques ecclésiologiques : la mission évangélique des apôtres, l’Ascension du Seigneur, des scènes infernales, le Christ en majesté. Ces représentations ont souvent été étudiées par les spécialistes de l’histoire de l’Art, les uns cherchant des rapports entre cette sculpture et les discours ecclésiologiques et politiques de la première moitié du XIIe siècle, les autres identifiant par comparaison les modèles qui avaient inspiré ce programme, relevant ensuite les décors qui avaient tenté de se rapprocher de l’exemple d’Angoulême, repérant enfin les mains des différents artistes ayant travaillé à la sculpture (fig. 2). Il importait de faire le point sur ces différentes interprétations, de les confronter et d’en proposer une synthèse.

Enfin, un diagnostic sanitaire de la façade s’imposait aussi : il était nécessaire de recenser les différents types d’altérations liées aux différentes expositions (intempéries, pollutions, vibrations, impacts) et consécutives de la modification des supports (érosion, fissurations, détachements, etc.) et de les localiser pour mieux appréhender les évolutions et solutions envisageables.

Cinq volets d’intervention ont été définis par les services de l’État : une synthèse documentaire, un récolement des éléments lapidaires déposés, un relevé photogrammétrique, une analyse archéologique des maçonneries et du décor sculpté, un constat d’état à partir notamment de l’analyse des matériaux et des altérations. Le bureau d’étude Hadès missionné pour réaliser ce travail a rassemblé une équipe de spécialistes et a proposé de répondre à ces interrogations par l’élaboration d’un système d’information géographique.

La base de données développée en ce sens a été renseignée en premier lieu par l’ensemble des dépouillements documentaires réalisés dans plusieurs fonds d’archives, à Angoulême (fonds du service départemental de l’Architecture et du Patrimoine, fonds des archives départementales de la Charente, fonds des archives municipales, fonds de la Société Historique et Archéologique, fonds du musée des beaux-Arts, fonds des archives diocésaines), à Poitiers (fonds du service des Monuments Historiques), à Paris (fonds des Archives Nationales et de la Bibliothèque Nationale) et à Charenton-le-Pont (fonds de la Médiathèque du Patrimoine). Ce travail de récolement, touchant à la fois les sources écrites et iconographiques, a été complété par une recension bibliographique dans les centres de documentation et bibliothèques de Poitiers et Bordeaux.

La base de données a ensuite été alimentée par le recueil d’informations directement sur l’édifice et sur les éléments lapidaires qui avaient été déposés lors des restaurations de la seconde moitié du XIXe siècle. Un inventaire descriptif, analytique et photographique a été réalisé dans les collections de la Société Historique et Archéologique d’Angoulême et du musée des Beaux-Arts. Moins d’une dizaine d’éléments ont pu être attribués avec certitude comme appartenant à la façade de la cathédrale.

Le travail d’analyse sur la façade a pour sa part consisté à mener en premier lieu un relevé photogrammétrique couplé à un relevé lasergrammétrique au scanner de l’ensemble de la façade. Ce travail a été confié à la société Ecartip de Bègles qui a pu ainsi fournir une image redressée de la façade et les profondeurs de champ des différents registres d’architecture. Ce relevé photogrammétrique a cependant dû être repris par un nouveau relevé scanner réalisé par Olivier Veissière puis finalisé par les archéologues à l’aide de clichés photographiques complémentaires redressés et de relevés topographiques au tachéomètre laser en raison de l’incomplétude du levé initial fait depuis le pied du monument. Un travail de dessin a ensuite été conduit afin de reporter sur le relevé photogrammétrique l’ensemble des éléments observés sur la façade et qui faisaient l’objet d’un enregistrement spécifique.

Ces dessins se sont appuyés sur le calepinage effectué préalablement lors de l’analyse archéologique du bâti réalisée à l’aide de deux types de nacelles élévatrices. Celles-ci étaient manœuvrées par les archéologues afin de pouvoir couvrir toute l’étendue et la hauteur de l’élévation et permettre d’observer et d’enregistrer directement l’ensemble des blocs composant la façade. Le type de calcaire employé (fig. 3), les traces d’outils éventuelles et leur sens, les altérations affectant le bloc, qu’elles soient de nature mécanique, chimique ou biologique, les éléments sculptés ou moulurés, les trous d’échafaudage potentiellement associés, la fonction organique du bloc dans l’architecture de la façade et ses restaurations éventuelles ont ainsi été décrits.

À l’issue des observations et de l’enregistrement de terrain, une campagne de prélèvement a été organisée avec le laboratoire E.R.M. de Poitiers. La quinzaine d’échantillons prélevés visaient à caractériser plusieurs types de mortiers et de calcaire employés dans la maçonnerie de la façade et à identifier des traces de polychromies repérées exclusivement sur les voussures du portail central. La mission du laboratoire s’est étendue aussi à un diagnostic des désordres affectant la façade, par une identification des produits et des phénomènes d’altérations que nous avions localisés.

L’ensemble des données collectées à l’issue de ces investigations de terrain a fait l’objet d’une saisie sur base de données et d’un report sur les relevés photogrammétriques. L’intégration de cette base de données dans un système d’information géographique a permis d’élaborer une cartographie thématique et chronologique de la façade occidentale de la cathédrale en fonction des données attributaires sélectionnées. Ces cartes sont ensuite étudiées selon les méthodes de l’analyse spatiale et de l’analyse stratigraphique et en fonction des requêtes posées et de certains traitements statistiques.

De cet ensemble documentaire, les principaux enseignements permettent d’avancer des réponses aux deux questions préalablement posées.

D’une part, le système d’information géographique élaboré constitue un nouvel outil d’analyse qui oblige à poser de nouvelles méthodologies de recherche. Par la masse de données qu’il est en capacité de croiser et d’engranger encore, il promet un véritable renouvellement des problématiques. Le temps a manqué dans le cadre de cette mission pour avancer plus avant dans l’exploitation des données, mais il ne tient qu’aux historiens, historiens d’art, architectes, tailleurs de pierre, sculpteurs et archéologues d’alimenter la réflexion à partir de la matière déjà rassemblée et mise à disposition.

D’autre part, la cartographie des types d’altérations que connaît la façade est aujourd’hui très précise. Des préconisations ont été formulées pour tenter d’en résorber certaines ou pour le moins de maîtriser les facteurs d’érosion, principalement liés ici à l’exposition de la façade à la pollution urbaine et aux vents et aux pluies d’ouest.

Trente phases constructives successives ont été identifiées pour la mise en place de la façade romane. Elles sont concomitantes d’un dispositif d’échafaudage repéré par une centaine de trous d’ancrage établis dans la façade. Dix-neuf lignes horizontales ont été identifiées, correspondant aux différents platelages établis à l’avancement de la construction et tenus par des perches verticales. Le travail sur l’analyse stylistique des sculptures tend à ne voir désormais qu’un seul et même atelier de sculpteur, avec au moins deux artistes bien identifiés. L’interprétation des thèmes figurés s’est renouvelée avec la reconnaissance de scènes qui renvoient aux chansons de gestes ou aux fabliaux, à certains passages des évangiles, réinterprétés par les pères de l’église.

Du point de vue chronologique, l’étude n’apporte pas suffisamment d’éléments déterminants pour remettre en cause les propositions chronologiques avancées, mais envisage de resserrer la période de construction à une quinzaine d’année, des années 1119-1120 aux années 1130-1136. Le décryptage d’une inscription sur le retour sud de la façade, contemporaine de l’achèvement de la construction romane, confirmerait l’attribution du chantier à l’œuvre du légat Girard, évêque d’Angoulême, principal défenseur du pape Anaclet. L’étude confirme ainsi que les hésitations dans la mise en place du décor des parties supérieures sont liées à cette période trouble pour l’évêque qui avait pris le parti du pape schismatique. Enfin, la répartition des quatre types principaux de calcaires est intéressante pour distinguer les parties restaurées (calcaires de Saint-Mesme et de Chazelle) des parties d’origine (Sireuil, Fontbelle).

Le recours à la documentation écrite et iconographique permet de compléter les différentes zones impactées par les restaurations menées à partir du moment où la cathédrale est classée Monument Historique en 1840. Avant cette date, les réaménagements ou restaurations qu’avaient pu connaître la façade sont très difficilement localisables en raison du gommage opéré par les architectes Paul Abadie et Edouard Warin à partir de 1855.

Les travaux plus limités conduits par Charles-Henri Besnard en 1939, Michel Mastorakis et François Corrouge en 1974-1975 et Jean-Pierre Auzou en 1991 n’ont guère touché le décor sculpté, qui se présente encore aujourd’hui, près de neuf cent ans plus tard, dans un état de conservation assez remarquable. Seul le soubassement et la partie supérieure de la façade, les tours et le pignon, ont été refaits à neuf par Paul Abadie, mais il n’a pas touché à l’ordonnancement architectural de la partie médiane. C’est cette partie qui fait tout l’intérêt de cette façade. Par conséquent, en dehors de quelques détails bien localisés désormais, elle conserve pleinement son degré d’authenticité et sa sculpture peut donc être regardée, toujours, comme l’un des principaux témoignages de l’art roman du Poitou-Charentes.

Jean-Luc PIAT