HADÈS Archéologie

Abbaye Saint-Cybard

Fiche

  • Responsable : Mélanie CHAILLOU
  • Période de fouille : 2008
  • Localité : Angoulême (Charente)
  • Type d’opération : 
  • Période :  ,
  • Agence : ATLANTIQUE

Résumé

2008 – L’ancienne infirmerie et l’angle nord-ouest du cloître

L’îlot Lacroix-Charbonnaud, situé au nord de la ville d’Angoulême, au bord de la Charente, abrite encore les vestiges d’une importante abbaye qui s’étendait jusqu’à l’actuelle esplanade du Centre International de la Bande Dessinée et de l’Image (CIBDI), construit en 1989. Fondée à la fin du VIe siècle autour de la cénobie de l’ermite saint Cybard, l’abbaye a très vite acquis de l’importance, étant le lieu d’inhumation des évêques et des comtes d’Angoulême aux environs de l’An Mil. Construite sur le flanc d’un coteau escarpé, ses bâtiments se développaient sur des terrasses artificielles, suivant une topographie accidentée, avec de nombreux changements de niveaux. La guerre de Cent Ans, puis les guerres de Religion ont eu raison du rayonnement de l’abbaye et celle-ci n’a cessé de décliner à l’époque moderne, malgré plusieurs tentatives de redressement, jusqu’à sa vente comme bien national en 1791. Les bâtiments furent alors découpés et affectés à des fonctions industrielles, la partie orientale devenant le siège de brasseries et de malteries (à l’emplacement de la CIBDI) et la partie oust, celui de papeteries (l’îlot Lacroix-Charbonnaud, objet de la présente étude).

La construction des nouvelles brasseries et malteries alsaciennes en 1912-1914 a provoqué la destruction de la quasi totalité des vestiges orientaux de l’abbaye ; vestiges en partie fouillés lors de la construction de la CIBDI, à l’emplacement des anciennes usines. En revanche, les bâtiments des papeteries, à l’ouest, ont partiellement respecté le bâti ancien. Un projet immobilier sur cette partie a été l’occasion d’une première étude du bâti menée en 2002 par l’Inrap. L’étude, demeurée incomplète, a été reprise en 2008, avant le démarrage de nouveaux travaux, ceux-ci ayant été ajournés pendant plusieurs années avant que le projet d’aménagement de l’îlot ne soit modifié.

Cette nouvelle étude, confiée à la société Hadès, devait compléter la précédente en reprenant l’étude de certains murs déjà observés sur leur parement extérieur, mais non sur leur parement intérieur. Elle concernait le mur ouest de l’ancienne infirmerie, le mur sud du logis de l’abbé et l’angle nord-ouest du cloître, détruit en 1912 (fig. 1). Comme une partie du parement oriental du mur ouest de l’ancienne infirmerie et l’intérieur du logis de l’abbé n’étaient pas accessibles, la campagne 2008 a pallié ces manques par une observation rapide d’autres parements, non compris dans la prescription, mais dont leur proximité avec les murs à analyser justifiait qu’on s’y attarde.

Par ailleurs, les travaux d’aménagement de l’îlot réalisés en 2008 ont engagé de graves destructions et excavations imprévues. La mise au jour de deux niveaux de sarcophages sur une bande perpendiculaire au mur ouest de l’ancienne infirmerie, à l’emplacement du parvis de l’ancienne abbatiale, a contraint le SRA de Poitou-Charentes à pratiquer des fouilles de sauvetage urgent à cet endroit, afin de récupérer les informations qui n’avaient pas encore été détruites sur le lieu d’inhumation des comtes d’Angoulême. Le reste des travaux a occasionné l’effondrement d’une grande baie datant peut être du XVIIIe siècle et détruit une grande partie du bâti du XIXe siècle, pourtant représentatif d’une architecture industrielle de qualité, construite souvent en respect avec les anciennes elevations (fig. 2).

Face à ces événements inattendus et en concertation avec le service régional de l’Archéologie, il a été décidé d’ajouter au présent rapport une description rapide du bâti du XIXe siècle, bien que celui-ci n’ait malheureusement pas mobilisé notre attention lors de la phase de terrain.

Les fouilles de 1985-1988, avaient déjà mis en évidence que l’abbaye, après une première occupation du haut Moyen Âge sur des terrasses à l’extrémité orientale de son emplacement, s’était développée petit à petit vers l’ouest, autour d’un noyau central constitué par l’abbatiale au sud et le cloître au nord, sans doute déjà encadré du réfectoire et de la salle capitulaire. Ces bâtiments ont été reconstruits à plusieurs reprises au cours des siècles et l’abbatiale romane a été détruite en 1568 par les Protestants. Tous ces bâtiments se trouvaient à l’emplacement de l’actuelle CIBDI : il n’en reste presque aucune trace, à part l’angle nord-ouest du cloître et une partie du réfectoire, transformé en église après 1568 (fig. a).

La présente étude confirme ce que l’Inrap avait déjà conclu en 2002. Une partie des maçonneries des murs identifiés comme le mur ouest de l’ancienne infirmerie, le mur sud du logis de l’abbé et le mur nord-ouest du cloître appartiennent aux parties les plus anciennes des élévations qui subsistent de l’abbaye et peuvent remonter aux XIIIe-XIVe siècles, voire légèrement avant pour le mur du cloître. L’identification de ces bâtiments est rendue possible grâce à un procès verbal de 1744 – une visite méticuleuse de l’abbaye devenue vétuste et inhabitable pour les derniers moines encore clôturés – et une archive de 1751. Mais, malgré ces textes, plusieurs parties de l’abbaye demeurent inconnues, en particulier celles disparues sous la moitié sud-est du coteau. Elles devaient être autrefois bâties car les murs gardent les traces de portes qui y donnaient accès. D’ailleurs, la description de 1744 donne les dimensions de certains bâtiments qui ne présentent plus la même surface aujourd’hui ; c’est singulièrement le cas du « bûcher », derrière le mur ouest du cloître, qui a dû être réduit depuis (fig. 1). Les phases de construction du cloître sont d’ailleurs difficiles à interpréter à cause d’archaïsmes dans la modénature des formerets de son dernier état. Mais il semble que, malgré des profils de moulures proches des modèles des XIIIe -XIVe siècles, son dernier état doit dater du début du XVIe siècle, voire plus tard (fig. 3).

De même, les remaniements du mur ouest de l’ancienne infirmerie sont difficiles à dater en l’absence d’éléments de décor. Il semble que ce mur a toujours donné sur un extérieur, au moins jusqu’au XIXe siècle, et que son parement intérieur a servi d’appui à une voûte au rez-de-chaussée (mentionnée dans le procès verbal de 1744). Mais les dispositions intérieures du bâtiment ne sont pas très compréhensibles. Les niveaux de plancher ne sont pas bien identifiés, tout comme la fonction et les dimensions des baies qui y étaient ouvertes (des portes ou des fenêtres ?). On ignore enfin si ces remaniements ont été faits après l’abandon de sa supposée fonction d’infirmerie (à la fin du XVIe siècle) ou plutôt avant – la disparition de l’infirmerie de l’abbaye étant sans doute une conséquence des saccages perpétrés par les Protestants (fig. 4). Cependant, l’emplacement de l’infirmerie à cet endroit de l’abbaye semble peu commun. Cette appellation datant de la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors qu’il n’existe plus d’infirmerie dans l’abbaye depuis près de deux siècles, est peut être fantaisiste.

Enfin, les très nombreuses reconstructions du XIXe siècle ne facilitent pas l’interprétation des murs et une étude documentaire encore plus approfondie que celle, déjà très avancée, faite en 2002, complétée par des fouilles au pied des élévations étudiées auraient peut être clarifié la compréhension de ce site à la topographie et l’histoire complexes.

Mélanie CHAILLOU

2013 – Le logis de l’abbé

Le bâtiment réputé être le logis abbatial, situé dans la partie nord-ouest de l’ancienne abbaye, propriété de la ville d’Angoulême, ne faisait pas partie du projet qui a abouti à la construction d’appartements-hôtels en 2008-2010.

L’initiative de la mairie d’Angoulême de réhabiliter ce logis a fourni l’opportunité au SRA de Poitou-Charentes de prescrire en 2010 une nouvelle étude archéologique préventive de cet édifice et du bâti alentour. De nouveau assurée par la société Hadès, cette dernière opération a été réalisée entre juin 2012 et mars 2013 par deux archéologues, secondés d’une archéologue en en formation en alternance. L’étude, comptabilisant 39 jours de terrain, comporte non seulement le piquage, le relevé et l’étude des élévations, mais aussi cinq sondages, dont un effectué à la pelle mécanique devant la façade sud. Elle s’est déroulée en plusieurs phases réparties en différents volets, exécutés au fur et à mesure de l’avancée du chantier de consolidation de l’édifice.

L’origine de l’appellation du bâtiment comme le « logis abbatial » demeure inconnue. Cette identification est plausible tant pour le Moyen Âge que pour l’époque moderne, mais elle est concurrencée par d’autres hypothèses, comme des logements réservés à un personnel laïque travaillant dans l’abbaye ou veillant à sa sécurité. En outre, une conversion en bâtiment partagé par la communauté paraît effective dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’étude met par ailleurs en évidence six grandes phases de construction entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine (fig. 5).

Des charbons, apparemment issus de niveaux remaniés, piégés dans la tranchée de fondation de la façade sud du logis, suggèrent une occupation de la zone dès l’époque carolingienne, ce qui mériterait tout de même une vérification (phase 1). En revanche, l’origine médiévale du bâtiment, sans doute érigé à la fin du XIIIe ou plus probablement au début du XIVe siècle, est désormais assurée (phase 2a). Mais seule sa façade sud est connue, répartie entre un rez-de-chaussée à usage utilitaire et un étage à caractère résidentiel, éclairé par des fenêtres trilobées (fig. 6). La mise au jour dans sa partie orientale d’une rampe en pas d’âne rejoignant vraisemblablement la Charente suggère un passage destiné au transport de charges, sans doute en relation avec les unités de production construites au bord du fleuve (four, moulin…). Malgré le dégagement des parties inférieures du mur et de ses fondations sur près de 2,50 m sous le niveau de circulation actuel de la cour, le terrain naturel n’a pas été atteint. Ce bâtiment coexiste avec plusieurs maçonneries datables de l’époque médiévale, mais qui n’appartiennent pas exactement à sa phase de construction initiale, tels les vestiges d’une cheminée logée à l’étage sud-est (phase 2b ; fig. 7).

La zone occidentale de l’abbaye semble avoir bénéficié de réparations après la guerre de Cent Ans. Ces remaniements et constructions ex nihilo se situent davantage autour du logis, tels la porterie, une salle voûtée au sud de la cour méridionale ou l’aménagement des deux travées voûtées du passage entre celle-ci et le cloître (phases 3a et 3b). Ce dernier a aussi été en partie reconstruit à cette époque, tout comme la porte qui y donne accès depuis le passage (fig. 8). Le logis ne semble pas avoir été particulièrement modifié à cette époque, si ce n’est par l’ajout d’un vaisseau voûté occupant son rez-de-chaussée, mais dont la chronologie est incertaine (phase 3c).

À croire les religieux, aucune construction notable n’a été réalisée entre le saccage commis par les Protestants en 1568 et la reprise en main de l’abbaye sous le mandat de l’abbé Henry du Reffuge (1640‑1688). Ce qui semble confirmé par l’étude du bâti, puisque la zone autour de la petite cour orientale a sans douté été réédifiée dans la seconde moitié du XVIIe siècle, comme l’atteste le style des portes en partie conservées (phases 4a et 4b ; fig. 9). Ces travaux permettent une nouvelle mise en scène de l’articulation des espaces, abolissant définitivement tout contact entre le logis abbatial et le réfectoire, transformé en église. Malgré le mimétisme de son organisation, la façade nord est plus tardive et pourrait même être postérieure à 1744 – peut-être réédifiée lors du percement de la rue de Bordeaux (phase 5 ; fig. 10). Enfin, les transformations des XIXe-XXe siècles, une fois l’abbaye vendue comme bien national, ont grandement modifié le bâti, particulièrement à l’extrémité ouest du logis (phase 6a à 6d).

Malgré la persistance de nombreuses interrogations, cette étude montre que des indices pour la compréhension de cette puissante abbaye médiévale, pourtant presque entièrement disparue, sont encore à récolter, que ce soit dans le sous-sol, comme dans les archives de l’époque moderne – à défaut de conserver celles du Moyen Âge. Grâce aux derniers travaux, le logis est préservé de la ruine, mais sa valorisation reste à faire et de nombreux aménagements seraient encore nécessaires, pour permettre l’accueil de public par exemple. Un suivi de ces éventuels travaux, en particulier s’ils engagent des affouillements dans le logis ou les cours sud et est, demeure donc nécessaire.

Mélanie CHAILLOU