HADÈS Archéologie

Espace Saint-Michel

Fiche

Résumé

Phases 1 et 2

En amont du projet de réaménagement de l’espace Saint-Michel par la ville de Bordeaux comprenant les rues Clare, la place du Maucaillou, la rue Gaspard Philipe, la place Canteloup, la place Meynard, la rue des Faures, la rue des Allamandiers et la place Duburg, le service régional de l’archéologie a prescrit une fouille préventive afin de renseigner l’évolution de ce quartier à travers de l’étude de son habitat, de sa voirie et de son cimetière médiéval. L’opération s’est déroulée en trois phases. La première consistait en la réalisation de six sondages (juin 2011). En fonction de la pertinence de leurs résultats, trois sondages ont fait l’objet d’investigations plus poussées sur des fenêtres d’exploration d’une superficie de 300 m² en moyenne (du 11 juillet au 9 septembre 2011), localisées autour de l’église Saint-Michel (Place Duburg et au sud de la basilique) et sur la place du Maucaillou. Le présent rapport concerne les résultats archéologiques des deux premières phases.

L’intérêt majeur d’une intervention sur la place Duburg réside dans la possibilité d’étudier une partie de l’habitat médiéval ; de cerner un peu plus la constitution du tissu bâti, de caractériser ses évolutions et ses permanences et de mettre en évidence les différentes interactions architecturales entre les bâtiments. Deux fenêtres ont ainsi été ouvertes permettant d’identifier avec une certaine assurance un parcellaire en lanière dont les limites physiques sont les alignements de murs délimitant des pièces bâties dont l’origine remonterait au Bas Moyen Âge (XIVe-XVe siècle) (fig. 1). La découverte de niveaux de sol nous permet de restituer des espaces de vie intérieure, sans que l’on puisse spécifier la nature de ces pièces (chambre, atelier, boutique). La superposition du plan de masse des vestiges avec le cadastre numérisé de 1811-32 atteste que le parcellaire n’a pas évolué depuis le Moyen Age. Seul l’espace interne va subir des modifications avec la construction de mur de refend et la mise en place d’éléments de confort (latrine). Chaque pièce est dotée d’un sol en carreaux de Gironde et possède un système de chauffage dont les âtres de cheminées en sont les derniers témoins. Certaines pièces sont également dotées de système d’évacuation pour les excréments. Cet habitat s’est développé au détriment d’une partie du cimetière. Trois sépultures ont ainsi été dégagées sous l’une de ces habitations dépourvues de cave. Les personnes inhumées correspondent à trois individus adultes, dont deux sujets de sexe féminin et un sujet de sexe masculin. Ils sont couchés sur le dos. Il s’agit de trois inhumations primaires individuelles, réalisées au sein d’un espace vide de type cercueil de bois chevillé et / ou coffrage de bois. Le comblement des sépultures a livré des artefacts céramiques du haut Moyen Age en position secondaire. La datation radiocarbone effectuée sur les restes de l’une de ces sépultures tendrait à confirmer une occupation funéraire comprise entre 730 et 940 Cal AD. Cette occupation anthropique est confirmée par ailleurs avec la découverte d’une fosse dans laquelle a été identifié un lot de poterie homogène daté des VIe-VIIe siècles repérée lors de la réalisation du sondage au sud de la basilique. Ces éléments viennent en partie combler un vide documentaire dont les seuls éléments connus sont la mention d’une chapelle carolingienne et d’une église de l’époque romane antérieure à l’édifice de culte actuel.

Le cimetière médiéval a été en partie étudié dans la zone de fouille située le long du mur gouttereau sud de la basilique alors que l’historiographie le présumé détruit lors des travaux d’aménagement du quartier en 1864 (fig. 2). 158 inhumations, dans un état de conservation relativement médiocre, ont été mises au jour. Elles se répartissent au sein de deux niveaux de remblai sépulcral qui présentent un pendage d’ouest en est et du nord au sud. Il s’agit presque exclusivement de sépultures primaires individuelles. Une seule sépulture double a été identifiée réunissant les corps de deux adultes, l’un féminin, l’autre masculin. La pratique de la réduction de corps est attestée par la présence de restes osseux humains découverts pêle-mêle dans 9 sépultures.

Quatre modes d’inhumation ont été observés : pleine terre, cercueil (cloué ou chevillé), coffrage en pierre et sarcophage. La majeure partie des inhumations suit un axe ouest – est (54,4 %). Dans ce cas, le défunt est systématiquement déposé la tête placée à l’ouest. Le second axe observé est orienté nord sud (18,4 %). L’inhumation est très majoritairement effectuée tête au nord (93,1 %) plutôt que tête au sud (6,9 %).

Les défunts, de tous âges, sont inhumés sur le dos avec les membres supérieurs placés préférentiellement en position fléchie avec les mains ramenées en avant du bassin ou de part et d’autre de la cage thoracique tandis que les membres inférieurs sont en extension. Peu de mobilier associé aux défunts a été retrouvé. Une douzaine d’individus sont inhumés avec une petite fiole en verre (orcel), généralement placé au niveau de l’épaule. Des éléments de parures (une bague) ou accessoires vestimentaires (trois boucles de ceinture) ont également été inventoriés permettant de cerner l’occupation funéraire entre les XIIIe et XIVe siècles. L’analyse des plans de répartition ne montre aucune spécialisation de l’espace en fonction du sexe des défunts, ni en fonction de l’âge au décès. Des rangées semblent cependant avoir été aménagées. L’axe de ces dernières, au même titre que celui des inhumations, est variable dans le temps. L’existence de nombreux recoupements, ainsi que les changements dans l’organisation spatiale, illustrent une occupation funéraire dense et longue, attestant de fait l’existence initiale d’un dispositif de signalisation des tombes en surface.

L’emprise du cimetière médiéval va se rétracter à l’époque moderne et se matérialiser par l’édification d’un mur de clôture. Ce dernier a pu être en partie appréhendé. Son étude démontre d’une part qu’il est fondé peu profondément et d’autre part qu’il repose sur plusieurs inhumations. Le cimetière est fermé à la Révolution. Il est en partie détruit comme nous avons pu le constater à travers l’étude de la stratigraphie. Ces niveaux sont scellés par un apport de terre afin de niveler le sol en vue de l’aménagement de la place Meynard.

Les investigations menées place du Maucaillou (fig. 3) avaient pour objectif de vérifier l’existence de vestiges pouvant confirmer ou infirmer la présence d’une nécropole antique. La découverte de quatre inhumations permet de réfléchir sur l’existence de la nécropole Planterose.

Les individus, inhumés dans des positions atypiques, ont été mis au jour dans un secteur préservé des remaniements postérieurs. Les premières observations faites sur le mobilier associé permettent une attribution à la période antique (fig. 4), hypothèse confortée par une datation radiocarbone réalisée sur des vestiges dentaires et indiquant un intervalle compris entre le Ier et le IIIe siècle de notre ère. Cette découverte vient étayer les informations fournies par Camille de Mensignac qui mentionne la présence de huit squelettes au niveau du numéro 48 de la rue Planterose en 1881 cependant il serait aventureux d’y restituer les témoins de la dite nécropole à cause du faible nombre d’individus retrouvés mais aussi du fait que les limites de ce supposé espace ne sont pas acquises.

Une importante structure en creux dont la fonction initiale reste incertaine, car son éventuelle extension en plan a été détruite par l’installation des caves postérieures, est rattachée à cette première occupation. Le comblement est homogène et contient très peu de mobilier par rapport au volume de terre brassée. Seul 20 fragments dont la forme la plus remarquable est située dans la fourchette au Haut-Empire ont ainsi été extraits. L’analyse géomorphologique menée sur place permet d’émettre l’hypothèse d’une grande fosse plutôt que d’un fossé comme tant à l’attester l’uniformité de son comblement.

Un important hiatus de plus de dix siècles sépare l’occupation antique de celle du Moyen Âge.

Les couches d’occupation et de circulation sont très mal conservées pour cette période. Quelques lambeaux de sol sont rattachés à cette phase grâce au mobilier piégé dans ces niveaux et datés des XIVe-XVe siècles. L’étude des maçonneries a permis de distinguer deux ensembles bâtis se développant de part et d’autre d’une rue. Cette dernière se trouve dans le prolongement de l’actuelle rue Traversanne. Contrairement aux vestiges mis au jour place Duburg aucun niveau de sol construit ni aucun accès n’a été retrouvé dans ces habitations. Le premier ensemble bâti est délimité par deux murs. Ces maçonneries se distinguent par l’emploi de pierres de lest brutes de différents types. Le second ensemble bâti se compose de cinq maçonneries délimitant deux espaces intérieurs. A l’arrière de cette façade trois maçonneries orientée est-ouest délimitent deux propriétés. La superposition du plan de masse des vestiges sur le cadastre numérisé de 1811-32 démontre que le parcellaire n’a pas évolué depuis le Bas Moyen Age.

Ces deux ensembles bâtis vont connaître des remaniements qui vont s’échelonner sur quatre siècles. Ces modifications consistent en la création de caves et en la mise en place de latrines. C’est ainsi qu’une cave munie de trois soupiraux va être aménagée dans le premier espace bâti au cours du XVIIIe siècle. Cet espace sera doté au cours du XIXe siècle d’une fosse d’aisance. Le second espace bâti est doté quant à lui d’une fosse d’aisance installée en arrière de la rue dans laquelle ont été extraits de nombreux carporestes, des éléments de malacofaune, des restes de poissons mais surtout un important lot de céramiques très homogène, comprenant des objets archéologiquement complet, daté entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle. Cet aménagement, dont les dimensions évoquent un usage privé, a été réalisé dans un espace extérieur que l’on peut qualifier de cour ou jardin. La construction de nouveaux murs, espacés de 4 m, va engendrer des modifications dans le découpage du parcellaire marquant de nouvelles divisions au sein de l’îlot. Ces modifications vont engendrer un exhaussement du niveau de circulation par l’intermédiaire d’un apport de terre. Les fragments de mobilier métallique et céramique ainsi que des tuyaux de pipes en terre permettent de dater cette dernière occupation des XVIIe-XVIIIe siècle.

C’est au cours de la seconde moitié ou plus vraisemblablement à la fin du XIXe siècle dans le cadre des travaux de réaménagement du quartier que ces deux ensembles bâtis sont rasés.

La fouille de ces trois zones a permis d’approfondir nos connaissances et de compléter la topographie d’un des plus anciens quartiers médiévaux de Bordeaux. L’ensemble de ces fouilles représente une surface cumulée de 1367 m2, soit moins d’1/10e de l’emprise totale des travaux évaluée à 27 000 m2. Les travaux de réaménagement qui ont débuté depuis le mois d’août 2013 font l’objet d’une surveillance archéologique (troisième phase de notre intervention). Les données accumulées pendant la durée des travaux (août 2013 – mai 2015) apporteront des informations complémentaires et feront l’objet d’un nouveau rapport.

Phase 3

La dernière phase de cette mission a consisté à accompagner les travaux de terrasse­ment de manière ponctuelle, afin de collecter de nouvelles données dans des secteurs qui n’auraient pas été explorés au cours des phases précédentes.

Ces travaux ont débuté le 26 août 2013 et se sont achevés à la fin du mois de juin 2015. Quarante-deux interventions ont été réalisées. Celles menées au cours de la dernière phase n’ont pas permis d’apporter d’éléments supplémentaires sur l’occupation antique, les terras­sements n’ayant pas concerné ces niveaux. Le remploi de fragments d’anciens sarcophages de type mérovingien dans des sépultures en coffrage constitue l’indice d’une occupation durant le haut Moyen Âge. Les fouilles menées en 2011 sur la place Duburg et la place du Maucaillou avaient également permis d’acquérir des informations inédites complétant les données historiques sur les origines médiévales du bâti. La surveillance archéologique a, quant à elle, surtout apporté des données concernant les maisons détruites lors du réaménagement de la place Saint-Michel au début du XIXe siècle.

La découverte majeure de cette dernière phase d’intervention reste la mise au jour d’un grand nombre de sépultures sur la place Canteloup en octobre 2013 (Fig. 5), entraînant une modification de la prescription de fouille. Un nouveau cahier des charges, spécifique à cette intervention, a été édité par le service régional de l’Archéologie. La simple surveillance a été trans­formée en une fouille complémentaire et a nécessité la mise en place de procédures adaptées afin d’éviter un arrêt de chantier. Ce cimetière, que l’on pensait en grande partie détruit par les aménagements de la place au XIXe siècle, a ainsi fourni un ensemble de 242 tombes. Les résultats de la dernière phase d’explora­tion de ce secteur de Bordeaux confirme ce qui avait été observé en 2011 : cet ensemble funéraire présente une riche typologie architecturale de tombes. Il est caractérisé par la coexistence d’inhumations en pleine terre, de dépôts au sein de contenants rigides et / ou souples en matière périssable, de sarco­phages (Fig. 6) et de coffrages. La décomposition des corps s’est opérée tantôt en espace colmaté, tantôt en espace vide. Le mode de dépôt des corps est rela­tivement homogène. Sur les 242 inhumations mises au jour, 204 sont pri­maires et individuelles. Deux grandes catégories d’inhumations ont été mises en évidence : tout d’abord celles orientées ouest – est (tête à l’ouest, 71 %) et celles orientées nord-sud (tête au nord, 13,7 % ; tête au sud, 0,8 %). Le mobilier funéraire se limite à une douzaine d’orcels et à quelques accessoires vestimentaires ou objets de parure (boucles de ceinture en fer, bague sertie composée d’un alliage argent-cuivre). Les analyses montrent que les individus des deux sexes et de tous âges sont représentés, mis à part les plus jeunes enfants (moins de 4 ans) qui sont absents de l’échantillon.

Natacha SAUVAÎTRE