HADÈS Archéologie

Chapelle de La Vierge

Fiche

Résumé

La commune de Baignes-Sainte-Radegonde se situe en Charente, à mi chemin entre Bordeaux et Angoulême. Son abbaye présente un plan original, avec une large nef à vaisseau unique, flanquée à l’est et au sud-est de bâtiments récents et au sud-ouest d’un petit appendice rectangulaire : la chapelle dite « de la Vierge » (fig. 1 et 2). Les dispositions intérieures de cette chapelle richement ornée, aménagée de plusieurs niches, prolongée à l’est d’une absidiole à chevet plat et dotée de circulations hautes par des coursives, n’ont pas manqué d’attirer l’attention. Ainsi, à la fin des années 1980, sa voûte lambrissée du XIXe siècle a été supprimée (fig. 3), tous ses parements ont été décrépis et des fouilles clandestines ont ramené son niveau de circulation – surélevé de près de 1,50 m – à peu près à l’altitude de son sol d’origine.

Inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis le 3 mars 1992, cette chapelle fait l’objet d’un projet de mise en valeur initié par la commune, et désormais assuré par un architecte en chef des monuments historiques. Après une ébauche d’étude architecturale et documentaire engagée par un historien indépendant en 2007, une analyse du bâti de la chapelle, complétée par des sondages archéologiques à l’intérieur de celle-ci, a été commandée à Hadès en avril 2008. Elle avait pour but d’affiner la chronologie de la construction, mise en perspective avec l’architecture de l’église et des bâtiments conventuels disparus. La campagne s’est déroulée sur 10 jours, accompagnée d’une prospection géophysique de 5 jours autour de l’église, réalisée par le laboratoire ULR Valor.

L’église actuelle correspond à l’abbatiale, convertie en paroissiale dès la fin du XVIIIe siècle. Elle a presque entièrement été reconstruite sur sa moitié nord à l’époque moderne, sans doute après les guerres de Religion, et sa nef a dû être raccourcie. Les résultats de l’étude de la chapelle confirment une hypothèse émise de longue date selon laquelle celle-ci serait le bras sud du transept de l’abbatiale. Mais la datation de ce dernier, réputé du début du XIIe siècle, semble plus récente d’une cinquantaine d’années au moins. En effet, les éléments de décor, certes inspirés de la tradition romane, présentent des profils inconnus dans la région avant le milieu du XIIe siècle, telles des bases à griffes et profondes scoties (fig. 4) ou la forme élancée des fenêtres. En outre, ce transept a été construit en deux temps, sa partie occidentale n’étant probablement érigée qu’à la fin du XIIe ou au début du XIIIe siècle. Des changements discrets de partis constructifs semblent trahir une modification du programme, peut-être à cause du projet de (re)construction des bâtiments conventuels attenants au sud. Aussi, le chevet de l’église, traditionnellement daté du XIIIe siècle, pourrait remonter à l’extrême fin du XIIe siècle ou du tout début du siècle suivant. Les constructions du transept et du chevet de l’abbatiale, très saillant à l’est de celui ci, sont donc très rapprochées dans le temps. Toutefois, des variations de typologie des ouvertures et des éléments de décor excluent leur contemporanéité stricte (fig. 2).

Les vestiges des ouvertures des fenêtres hautes indiquent que les élévations de l’église et de son transept ont été écrêtées de 3 à 5 m. Contrairement au transept, sans doute voûté en berceau, la nef primitive, dépourvue de supports verticaux, devait être à l’origine charpentée. Peut-être a-t-elle a reçu un voûtement dès la fin du XIIIe siècle, mais celui ci a disparu, actuellement remplacé par une fausse voûte lambrissée. L’absence de travée sous clocher suggère que celui ci devait être rejeté sur un des côtés de l’église. Il pouvait se trouver au dessus du transept sud, mais aucun indice ne permet de l’affirmer. Le reste du plan de l’église demeure inconnu. Par analogie avec d’autres plans d’abbayes locales, en particulier celle de Bassac, il est plausible de restituer une nef davantage étendue vers l’ouest. Celle-ci devait être également dotée d’un transept nord. Toutefois, même si des vestiges sur le gouttereau nord confirment la présence d’une construction attenante à l’abbatiale (un transept ou peut être la paroissiale, fig. 1), la prospection géophysique n’a pas permis de confirmer cette hypothèse.

Par ailleurs, les aménagements du transept restent difficiles à caractériser. Les multiples placards liturgiques ouverts dans sa travée et son absidiole pourraient révéler une fonction doublée avec celle d’un armarium, mais les indices sont trop ténus pour être catégorique (fig. 5). De même, la présence d’une coursive faisant tout le pourtour de l’église et du transept, comme un genre de tribune, n’est certes pas exceptionnelle, mais sa communication avec les bâtiments conventuels, au sud, est plus énigmatique. D’autant plus qu’aucun degré permettant de descendre de ces circulations hautes vers l’église n’a été reconnu (fig. 6).

La prospection géophysique a révélé une certaine densité du bâti au sud de l’église. Ces vestiges respectent deux orientations différentes, suggérant plusieurs campagnes de constructions (fig. 7). Parmi celles-ci, un cloître aurait été identifié contre le bord sud du chevet, mais ses relations avec le transept et l’église semblent inexistantes, ce qui paraît incohérent avec la fonction d’un tel espace. Il pourrait donc s’agir d’un cloître secondaire. Aussi, le dortoir pourrait se trouver dans le prolongement du bras sud du transept, communiquant avec celui ci par le biais de deux portes, mais le parement extérieur n’en garde aucune trace. La première porte donnait accès aux coursives aménagées dans les parties hautes de l’édifice. La seconde, ouverte juste au-dessous, desservait un réduit flanqué au sud de l’absidiole. Autrefois indépendants des parties basses du transept, la fonction de ces niveaux voûtés reste incertaine. Ces dispositions assez atypiques ne trouvent pas d’équivalent dans la région. En revanche, le plan à chevet plat de l’église et de son transept trouve sa place dans l’architecture « gothique » locale, fortement imprégnée de tradition romane.

D’autres aspects de la construction sont remarquables, comme les éléments de décors sculptés de l’absidiole (fig. 8), les métopes peints entre les corbeaux soutenant la coursive sud (fig. 9) ou encore un large panel de signes lapidaires. Aussi, les éléments de décor présentent des influences locales, mais également plus lointaines. Plusieurs comparaisons avec l’abbatiale angoumoisine de La Couronne sont possibles, ainsi que quelques références à l’ornementation angevine du milieu du XIIe siècle, peut-être importées à Baignes par le biais du chantier de l’abbaye proche d’Angoulême.

Enfin, les sondages dans la chapelle ont révélé une occupation bien antérieure à l’abbaye, déterminée par des tessons de céramique antique et surtout des enduits peints datables du Haut Empire. Cette découverte inattendue, mise en corrélation avec les résultats de la prospection géophysique, témoigne de la richesse du sous-sol dans et autour de l’abbatiale. Ces occupations mal caractérisées mériteraient sans doute quelques vérifications par des sondages ciblés, à défaut d’une fouille plus étendue.

Mélanie CHAILLOU