HADÈS Archéologie

Abbaye de Nanteuil

Fiche

Résumé

2011

L’abbaye-de-Nanteuil en Vallée est située au nord du département de la Charente. Partiellement conservés, les bâtiments monastiques sont récemment devenus une propriété de la commune. Deux d’entre eux sont juridiquement protégés par des classements au titre de Monuments Historiques, mais l’église abbatiale, le cloître et ses ailes conventuelles restent en attente d’une mesure de protection. Cette perspective accompagnée d’un projet de valorisation offrent des conditions très favorables à la réalisation de fouilles programmées. Pour la première année, bien qu’arasé, le chevet de l’église abbatiale est apparu prioritaire. Les maçonneries de ses fondations mises au jour en 1993 lors de fouilles non autorisées sont exposées aux intempéries et subissent des dégradations causées par la végétation. Les découvertes restent actuellement rattachées à l’histoire de l’abbaye. Les problématiques scientifiques correspondent donc à celles du programme 2006 « Établissements religieux et nécropoles depuis la fin de l’Antiquité : origine, évolution, fonctions ».

La prise en compte des différents vestiges aboutit pour l’instant à la détermination d’environ 10 phases d’évolution sur le chevet. La première est encore faiblement appréhendée.

Un négatif de construction ou peut être une portion de caniveau a pu être observé au fond d’un sondage profond. Aucun indice ne l’identifie à la cella carolingienne donnée à l’église cathédrale Saint André de Bordeaux par Charles le Chauve.

L’abandon de la structure se traduit par un rejet de céramiques culinaires presque complètes et une accumulation de matériaux hétérogènes exhaussant le sol de 40 cm. L’estimation chronologique de cette phase repose sur l’expertise typo chronologique des céramiques. Elle se déroulerait au Xe voire au XIe siècle et précèderait la construction de l’église abbatiale romane.

L’analyse métrologique des élévations de l’abbatiale incite à identifier le plan général comme un projet unique. La construction appartiendrait ainsi à une seule phase. Les relations stratigraphiques démontrent en revanche plusieurs étapes. En premier lieu, le déambulatoire serait édifié avec les cinq chapelles rayonnantes, puis le rond-point du chœur. L’estimation chronologique de ces deux étapes de construction repose sur peu d’indices : la singularité du plan (comparable à Saint Martial de Limoges), des éléments d’ordres stylistiques et le contexte historique. Ce dernier offre deux indices en faveur d’une construction débutée dans la seconde moitié du XIe siècle. Le premier provient de la Chronique de Saint Maixent dont l’auteur signale une campagne de reconstruction commencée vers 10461. Le second est issu du tome XX de Dom Fonteneau2. L’érudit a recopié un acte de donation en faveur de Nanteuil d’une terre appelée la Fosse au Loup3. Le document original est daté vers 1050. L’érudit identifie cette terre au site monastique actuel en raison du toponyme et d’une autre terre donnée simultanément « quae est juxta viam fontis ». Cette donation pose la question de la véritable nature de l’acte. S’agit-il d’un geste symbolique qui permet au donateur dénommé Berenger d’acquérir le titre de fondateur ou est-ce une réelle donation ? La seconde possibilité implique une délocalisation du site monastique. Dans ce cas, la phase I ne serait pas obligatoirement en lien avec l’occupation religieuse de Nanteuil.

Les éléments de chronologie relative d’ordre stylistique reposent sur les modénatures des bases de colonnes, la typologie des maçonneries et le traitement des parements du mur externe du chevet (joints rubanés). Ils se rapprochent de mises en œuvre connues sur d’autres monuments régionaux de la seconde moitié du XIe siècle. Enfin, il faut signaler la découverte d’un coffre ossuaire placé contre le mur intérieur du rond-point du chœur. Son enfouissement, dans la tranchée de fondation du soubassement du mur, donc contemporain de sa construction, pourrait indiquer sinon un dépôt de reliques saintes, du moins une pratique de dévotion liée à la fondation du sanctuaire.

Aucune relation physique n’a été observée entre le chevet et le transept. Seule la pratique habituelle d’un déroulement de chantier d’est en ouest-voudrait que les constructions soient synchrones ou se suivent. Enfin, la divergence de la perpendiculaire entre l’axe du bras de transept sud et celui de la nef traduit une rupture qui s’observe également dans la manière de traiter les élévations. La chronologie relative entre les deux parties n’est pas encore assurée. Une estimation de la période de construction de la nef peut néanmoins être proposée en fonction des éléments sculptés mis en œuvre : les années 1120 1140.

Les phases IV à VI rendent compte d’incertitudes sur le nombre de destructions ayant marqué les élévations de l’église. La nef porte les séquelles d’un violent incendie que les sources identifient comme un méfait de la guerre de Cent Ans. L’évènement pourrait être néanmoins postérieur à un effondrement suscitant une reconstruction dans le courant du XIVe siècle.

En phase VII, le chœur est réaménagé et le sol du déambulatoire est rehaussé lors de travaux attribuables aux abbés Pierre VIII Regnaud (1439 1448) Aimery Texier (1467 1492) et Nicolas Imbault (1492 1527).

La phase VIII comprend une inhumation privilégiée proche de l’autel majeur (fig. c). L’identité du défunt n’est pas connue, mais elle peut faire l’objet d’une hypothèse. Dans ses dispositions testamentaires, l’abbé Aymeri Texier demande d’être inhumé « au pied du pilier du chœur où l’on dit l’Épitre ».

Peu de temps après l’inhumation dans le chœur, une importante inondation semble avoir lieu. Elle entraîne la construction d’un caniveau ou d’un drain à travers le déambulatoire.

L’abandon de la vie conventuelle est entériné avant la Révolution, en 1770. La destruction de l’église pour la vente des pierres date de l’acquisition par un privé suite à la saisie des Biens Nationaux.

L’ensemble de ces phases chronologiques reste à confirmer et à préciser par de nouvelles investigations. Un programme de travaux est ainsi envisagé pour la campagne de l’année 2012 et doit concerner trois zones différentes du site abbatial : les fouilles sur le chevet de l’église abbatiale seront poursuivies pour aboutir ce qui a été engagé en 2011 ; enfin, deux études archéologiques du bâti seront amorcées, l’une sur le bâtiment du trésor, l’autre sur le bâtiment de l’hôtellerie.

Jean-Luc PIAT, Patrick BOUVART

2012

L’opération effectuée en 2012 à l’abbaye de Nanteuil-en-Vallée est la seconde campagne d’une programmation triennale. Les objectifs ont donc été établis en fonction des résultats obtenus en 2011 mais également, de nouveaux impératifs imposés par les mesures de conservation du site. Les investigations ont ainsi porté sur le chevet de l’église abbatiale, l’édifice dénommé « trésor » et l’hôtellerie. Le rapport rend uniquement compte des connaissances acquises sur les deux premières entités.

L’ensemble des données stratigraphiques incite actuellement à déterminer 13 phases, soit 4 de plus que l’an passé. Les sondages dans l’église ont livré plusieurs indices d’une occupation antique. Les observations sont limitées à des niveaux de circulation (phase I), des remblais (phase II) et des gravats de matériaux de construction. La chronologie de la phase I établie à partir d’un faible lot de tessons correspondrait au milieu du Ier ou au IIe siècle. Les conditions d’abandon ne sont pas encore définies, peut être une destruction (phase III). Toutefois l’interprétation de l’épandage de gravats suscite des incertitudes puisqu’elle pourrait également résulter de terrassements liés à la réoccupation médiévale.

Ce fait se manifeste clairement par l’implantation d’un espace funéraire aux limites encore méconnues (phase IV). La faible densité des inhumations pose la question de la durée de cette phase. La typologie des tombes est diversifiée. Elle comprendrait notamment quelques coffrages de pierre trapézoïdaux à logette céphalique dont un avec un lit de charbon. Cette pratique est généralement observée sur des tombes des XIIe XIIIe siècles, au plus tôt au XIe siècle. En conséquence, rien ne prouve que ce premier cimetière soit antérieur au XIe siècle. Une continuité d’occupation avec la cella carolingienne n’est pas encore assurée. La présence de ces vestiges dans l’emprise actuelle de l’abbaye reste à démontrer.

La phase V regroupe trois étapes de construction du chevet. La première comprend les fondations et une portion d’élévation du déambulatoire (phase Va). La seconde est un arrêt de chantier probablement causé par une inondation (phase Vb). Elle entraîne l’apport d’un important remblai de terre dans le déambulatoire et du sable dans le rond point du chœur.

La reprise des constructions nécessite de nouvelles fondations superposées aux précédentes et un changement de parti dans le traitement des élévations (phase Vc). Les nouvelles données acquises n’améliorent pas la fourchette chronologique déjà déterminée, soit entre le milieu du XIe et le début du XIIe siècle.

La phase VI est marquée par la construction du bâtiment dénommé « trésor ». Bien qu’incomplète, son étude permet déjà d’établir un certain nombre de constats orientant les hypothèses d’interprétation. Le niveau inférieur est, dès l’origine, semi enterré et très faiblement ajouré. Il s’apparente ainsi à une crypte. L’étage est plus éclairé. L’un de ses parements est doté d’une armoire murale avec un lavabo liturgique. Les piédroits de certaines baies conservent des croix de consécration.

Il s’agit donc d’un lieu de culte. A la périphérie immédiate, l’édifice a constitué un pôle attractif pour des inhumations. La chronologie est actuellement établie à partir de comparaisons des modénatures des bases et chapiteaux des supports.

La construction se situerait vers la fin du XIIe siècle, voire les premières décennies du XIIIe siècle. Les caractéristiques semblent infirmer l’hypothèse d’un lieu de conservation de reliques ou de chartes. Les comparaisons la rapprocherait peut être de la chapelle du Saint Esprit de Roncevaux, appelée aussi Silo de Charlemagne. Cet édifice du XIIe siècle, bâti en carré sur deux niveaux, a été considéré comme le sépulcre de Roland et de ses paladins tombés à Roncevaux. Dans cette optique, le « trésor » de Nanteuil ne pourrait-il constituer un monument funéraire commémoratif en lien avec la geste carolingienne ? L’évolution du site comprend ensuite des phases définies l’an passé pour lesquelles aucune information ne renouvelle les connaissances, à savoir : un éventuel effondrement de l’église, un incendie durant la guerre de Cent Ans, une reconstruction aux XV-XVIe siècles et ensuite, divers aménagements notamment pour des problèmes d’inondation. La campagne de 2013 aura pour objectif de poursuivre toutes ces recherches et d’offrir également les premiers résultats relatifs à l’hôtellerie.

Jean-Luc PIAT, Patrick BOUVART

2013

Le bilan supposé clore la programmation triennale en 2013 a temporairement été reconduit, dans l’attente de résultats d’études et d’analyses. Malgré cela, la qualité des vestiges, les investissements respectifs de tous les acteurs et les perspectives suggérées ont convaincu de l’intérêt d’une année de prorogation de fouilles, engagées depuis 2011 sur le site charentais de l’abbaye de Nanteuil-en-Vallée (fig. 1).

Les diverses campagnes de sondages réalisées sur l’emprise de l’église abbatiale ont abouti à la détermination d’un minimum de quatorze évolutions de cette partie du site. Le terrain naturel n’étant pas encore atteint, des phases plus anciennes pourraient être découvertes.

La mise au jour de sols bâtis atteste l’existence d’une première construction de qualité (phase I). Aucune élévation ne peut encore être associée. Les propriétés physiques et stratigraphiques ne constituent pas un critère de datation. à défaut, un rapprochement pourrait être envisagé avec les indices d’une occupation du Ier ou IIe siècle découvert en 2012.

Des accumulations de terre organique témoignent ensuite d’une absence d’entretien des sols (phase II). La stratification est insuffisante pour correspondre à des apports résultant d’une occupation continue, mais n’exclut pas une présence temporaire.

Les tranchées de fondation de deux murs parallèles recoupent les contextes antérieurs. L’espace ainsi circonscrit ne peut être identifié (phase IIIa). Une évolution est marquée par l’insertion d’un mur perpendiculaire (phase IIIb ?), suivie de l’aménagement d’un nouveau sol bâti (phase IIIc). La nature et la durée de l’occupation demeurent inconnues. L’ensemble est finalement arasé méthodiquement (phase IV), pour laisser place à une nouvelle architecture intégrant des structures en matériaux organiques (phase V). La seule trace de cette construction est une couche charbonneuse résultant de sa combustion (phase VI). Les gravats accumulés au-dessus ont livré un denier du type de Melle émis au cours des Xe-XIe siècles. C’est probablement dans ce contexte que sont installées les plus anciennes inhumations découvertes sur le site jusqu’à présent (phase VII). Les données sont insuffisantes pour authentifier les membres d’une communauté monastique.

De toutes ces phases, il est encore impossible d’en associer une à la cella donnée par Charles le Chauve à l’église cathédrale Saint-André de Bordeaux en 858. Ensuite, différentes étapes du chantier de l’église romane modifient la topographie (phases VIIIa à VIIIf ?). Toutefois, une intégration de certaines élévations antérieures est suspectée, expliquant ainsi l’orientation atypique du lieu de culte.

La présence monastique est ensuite perçue à travers une série d’inhumations dans la nef (phase IX). L’un des défunts a été déposé avec une crosse et un vase à encens sciemment fracturé.

Un incendie ravage l’ensemble de l’église à la fin du XIVe ou au début du XVe siècle (phase X). Des restaurations sont entreprises au XVe siècle et jusqu’au début du XVIe siècle, notamment le réaménagement de la clôture du chœur (phase XI). De nouvelles inhumations sont pratiquées dans le rond-point du chœur et le déambulatoire (phase XII). L’aménagement d’un drain serait postérieur aux travaux de la phase XI et serait consécutif d’une ou de plusieurs inondations du bâtiment (phase XIII). Il traverserait l’église depuis la troisième travée de la nef jusqu’au chevet en passant par le collatéral nord puis le déambulatoire. Les derniers indices observés sont relatifs aux travaux de destruction des élévations et de récupérations des matériaux (phase XIV).

Au cours des campagnes 2012 et 2013, l’édifice communément désigné « trésor » a fait l’objet d’une analyse archéologique complète de ses élévations et de deux sondages en intérieur. Les données acquises permettent d’identifier sept phases. Ici aussi, les conditions de fouille ont limité les investigations aux niveaux en relation avec l’architecture. Des vestiges antérieurs sont donc encore susceptibles d’apparaître.

Composée de deux niveaux superposés mais indépendants, la construction est dès l’origine semi-enterrée. à l’étage, certaines baies possèdent un piédroit marqué d’une croix gravée et/ou peinte. Ces indices d’une consécration contribuent à l’identification de l’espace comme lieu de culte, fonction confortée par un lavabo liturgique aménagé dans une niche murale. Un incendie détruit des structures appuyées contre deux des façades (phase II). Lors d’une restauration, la salle basse est réaménagée (phase III). Son sol est remblayé, sans doute pour parer à des inondations. Au moins deux inhumations sont installées dans ce nouveau contexte, en face d’un autel (phase IV). La porte de la salle basse est abritée par un vestibule, sans doute destiné à limiter les ruissellements (phase V). Les deux dernières évolutions sont des aménagements d’ouvertures et les restaurations sous l’égide des Monuments Historiques. Au sujet de cet édifice, diverses interprétations ont déjà été émises et certaines infirmées. En 2014, les recherches se sont attardées sur la notion de charnier, fonction attribuée par une source de la fin du XVe siècle. Les hypothèses privilégiées sont actuellement celle d’un dépositoire lié à une liturgie mettant en scène des individus nommés « chadax » ou un lieu de dépôt le temps de percevoir le mortuarium.

Depuis 2012, les élévations de l’édifice dénommé « grands greniers » ont partiellement fait l’objet d’une analyse alimentant les réflexions sur la chronologie et la fonctionnalité primitive de cette construction. En 2014, l’étude a été enrichie par une dendrochronologie de diverses pièces de la charpente ainsi qu’une recherche spécifique au décor héraldique. L’évolution de l’architecture est actuellement décomposée en dix phases.

La construction primitive comprend un édifice de 50,50 m de long et 11,45 m de large (phase 1). L’intérieur est divisé en trois par deux murs de refend. Deux petits volumes sont adjacents au sud. L’ensemble s’élève sur deux niveaux. Les parements internes sont recouverts d’un premier décor peint de faux appareil. Un déséquilibre de la charpente ou un désordre structurel serait à l’origine d’un effondrement partiel des murs gouttereaux (phase 2). La reconstruction ne modifierait pas obligatoirement la forme primitive de la charpente (phase 3). Les pignons conservent l’empreinte de celle rétablie. Sur les nouvelles maçonneries, un badigeon est rapidement apposé. Il est également décoré d’un faux appareil tracé à l’ocre rouge. Ultérieurement, les deux pièces latérales de l’étage bénéficient d’un nouveau revêtement mural orné d’un faux appareil, mais cette fois tricolore (phase 4). La réalisation pourrait être synchrone d’un premier ensemble héraldique peint dans la salle centrale. Malgré les travaux précédents, la charpente suscite finalement une restructuration complète de son assemblage (phase 5). Le chantier se termine par un dernier décor peint comprenant des motifs floraux et un important programme héraldique composé de 24 armoiries. La dernière charpente mise en œuvre associe des bois en remploi abattus vers 1265 et de nouvelles pièces issues d’arbres abattus vers 1289-90. S’il est encore impossible d’attribuer les remplois à la phase 1 ou 3, la phase 5 est assurément postérieure à 1290. L’interprétation d’une partie des armoiries reste pour le moment délicate, en raison d’un curieux mélange de familles locales et de lignages externes au Poitou. Les places d’honneur sont laissées à la Couronne de France et aux armes de Leon et Castille (fig. 2). La composition de ce répertoire, en apparence dépourvu d’une cohérence évidente, laisse ouverte l’hypothèse que la panoplie héraldique n’évoque pas un épisode spécifique, mais qu’elle soit réalisée dans un autre but, celui de fournir une ornementation adéquate à un lieu destiné à l’accueil de fonctions publiques. De ce point de vue, le bref séjour dans l’abbaye du roi Philippe IV, le 6 décembre 1303, pourrait avoir fourni une occasion de commanditer un tel décor peint.

Une autre hypothèse est également envisagée. L’une des parties privatives pourrait éventuellement être destinée à l’archiprêtre de Ruffec dont le texte de 1288 atteste son rôle dans la justice ordinaire de l’abbaye. Cette fonction prend fin en 1305 lorsque les moines de Nanteuil obtiennent du pape Clément V une exemption de la juridiction ordinaire. Ils sont alors directement soumis à la juridiction de l’archevêque de Bordeaux. Cette modification expliquerait l’utilité d’une résidence temporaire pour l’archevêque ou son représentant. Le contexte oriente alors les comparaisons vers un type de bâtiments dénommés « livrées cardinalices ». La phase 6 prend en compte un incendie accidentel ou un dommage de la guerre de Cent Ans. La phase 7 comprend plusieurs aménagements susceptibles d’accompagner une réorganisation de la clôture monastique. Un entrait remplacé situerait une partie de ces travaux entre 1405 et 1442. Ils pourraient s’être poursuivis jusqu’au début du XVIe siècle. La phase 8 correspond à la transformation des espaces en « grands greniers ». Les deux dernières phases réunissent des modifications tardives et les restaurations du XXe siècle.

Au regard des nombreuses hypothèses en attente de vérification et des projets de conservation et de valorisation du site, une nouvelle programmation triennale est envisagée.

Jean-Luc PIAT, Patrick BOUVART

2015

Les fouilles de 2015 ont porté sur deux ensembles bâtis distincts : la nef de l’église abbatiale et le « Trésor ». Outre des découvertes spectaculaires, cette campagne est marquée par un changement de méthodologie. Les investissements scientifiques ont évolué vers une numérisation tridimensionnelle de l’ensemble des vestiges et l’élaboration d’un SIG.

Dans l’église abbatiale, l’emprise des terrassements est une aire de 16 m de long sur 8 m de large, soit 128 m² (fig. 3). Les espaces dégagés correspondent à la moitié du vaisseau central de la nef et à deux travées d’un collatéral.

Un sondage profond a permis d’identifier clairement le terrain naturel. Finalement, la séquence stratigraphique débute avec les mêmes phases que celles définies en 2014.

Les plus anciens indices d’occupation perçus sont des chapes en mortier de chaux (phase I). Elles mesurent une dizaine de centimètres d’épaisseur. Leurs surfaces sont renforcées contre l’érosion par une charge d’éclats de terre cuite et des scories. Le cumul des aires observées dépassent 100 m². Aucun vestige d’élévation ne peut y être associé. La fonction de ces sols demeure incertaine en raison d’une topographie générale ondulante. Les dispositions ne suffisent pas pour caractériser une forme d’habitat collectif, ni même un édifice de culte. Toutefois, l’ensemble architectural pourrait bien correspondre à la cella quae dicitur Nantogilus mentionnée en 858. Celle-ci est alors donnée par Charles le Chauves à l’église cathédrale Saint-André de Bordeaux.

L’abandon de ces constructions pourrait être déclenché par un mouvement de terrain à l’origine de ruptures de certains sols (phase II). Une reconstruction débute par les fondations de cinq murs (phase III). Quatre sont orientés nord-est / sud-ouest, le cinquième leur est perpendiculaire (fig. 4). Les hauteurs d’élévations conservées oscillent entre 0,70 et 1 m. Toutes ces structures sont montées au mortier de chaux. Des variations d’épaisseur incitent à en considérer deux comme des refends. Cette phase est accompagnée d’un exhaussement des niveaux de circulation de 0,40 m et d’un rétablissement de chapes en mortier de chaux. Malgré le confinement des espaces, la topographie irrégulière des sols est maintenue.

L’occupation des lieux suscite d’abord quelques restaurations de sols, puis une succession de réorganisations d’espaces (phases IV et V). Certaines chapes disparaissent alors sous des accumulations de terre. De ce point de vue, la phase V suggèrerait une forme de récession dans la qualité de vie de la population. Quelques tessons situent ces changements entre les Xe et XIe siècles.

Une ignorance quant à la chronologie relative de trois sépultures conduit à dissocier ces faits en deux phases (phases VI et VII). Deux inhumations respectent l’orientation des défunts commune aux pratiques funéraires déjà observées sur le site. La troisième se démarque par une disposition perpendiculaire et un isolement dans un espace particulier. Dépourvues d’architecture en coffrage de pierre, les trois tombes se différencient de celles reconnues comme antérieures au chevet de l’abbatiale.

L’évolution se traduit ensuite par une succession de contextes sédimentaires caractéristiques d’un environnement en chantier (phases VIII et XI). Bien qu’elle intègre quelques constructions de maçonneries, elle se termine par une destruction de l’ensemble des structures établies en phase III (phase X). L’espace dégagé est alors investi par une construction appréhendée à travers une unique maçonnerie et l’indice d’une association avec des matériaux organiques (phase XI).

Un incendie dévaste le bâtiment précédemment aménagé (phase XII). Plusieurs indices orientent la datation de cet évènement entre les Xe et XIe siècles. De nouvelles maçonneries sont ensuite fondées avec soin (phase XIII). L’interprétation de l’une d’elles comme pilier accroît l’importance monumentale des élévations. En revanche, l’absence d’indice de sol bâti et les évolutions ultérieures donnent l’impression d’un changement de projet en cours de réalisation.

La phase XIV reprend la séquence chronologique 8a à 8e correspondant au chantier de l’église abbatiale romane. Les travaux se concluraient par la façade de la nef, laissant peut-être les piliers de la phase 13 comme supports des trois dernières travées.

L’investissement des lieux par les religieux se traduirait par la construction d’un autel sur podium éventuellement associé à un ciborium (phase XV). Les sources écrites invitent à interpréter la structure comme étant l’autel Saint-Etienne où, depuis le XIIIe siècle, les paroissiens doivent se rendre processionnellement le jour de la Saint-Etienne proto-martyr. La commémoration s’effectue en vertu de l’ancien autel qui leur était dédié avant la construction de l’église Saint-Jean-Baptiste. Les premières sépultures installées dans cette partie de la nef seraient attribuables au XIIIe siècle (phase XVI). Le statut des défunts demeure alors ignoré.

La construction des supports de la nef est finalement entreprise (phase XVII). Les fondations sont établies dans des tranchées profondes, mais sans mortier de chaux. Ce parti pris pose la question d’une réelle volonté d’établir un voûtement. L’occupation se manifeste ensuite par une série d’inhumations attribuables aux XIVe et XVe siècles (phase XVIII). Deux crosses associées à deux individus distincts révèleraient leur statut d’abbé (fig. 5).

Les séquelles de l’incendie historiquement imputé aux anglais se perçoivent sur l’ensemble des élévations (phase XIX). Elles confirment l’intensité du feu. Aucun indice n’améliore la datation de ce ravage. Les restaurations suscitent l’arasement définitif de l’autel (phase XX). Celui-ci est probablement déplacé contre le jubé soit retro chorum, en référence à une mention écrite de la fin du XVe siècle. Malgré la fragilisation des maçonneries, la nef serait voûtée. L’hypothèse ne résulte pas de la nature des vestiges lapidaires issus des gravats, mais uniquement du procès-verbal de 1730 qui évoque « la cherpante de la voute du milieu quy prand despuis la principalle porte jusque au clocher ». Le remplacement de l’ensemble du dallage offre un repère pour les transformations ultérieures. Ainsi, l’aménagement d’un drain dans l’axe longitudinal de la nef serait l’une des dernières modifications (phase XXI). En l’état des connaissances, ce dispositif apparait plus comme une mesure d’urgence à l’issue d’une inondation que comme un aménagement destiné à avoir un fonctionnement régulier.

Avant les démolitions du XVIIIe siècle, quelques nouvelles sépultures pourraient prendre place dans des architectures funéraires antérieures (phase XXII). L’un des individus bénéficie d’une pierre tombale incisée d’une croix sur piédestal.

Dans le « Trésor », les infiltrations d’eau ont limité les investigations. Un sondage réalisé contre l’un des murs a permis de repérer une chape de mortier susceptible d’être antérieure au bâtiment. Ensuite, les contextes observés sont postérieurs. Ils infirment l’hypothèse d’une fosse ossuaire et s’opposent à celle d’un ossuaire fonctionnant par entassement directement sur le sol.

En 2016, la numérisation 3D sera poursuivie. L’emprise des investigations archéologiques sera reportée dans la continuité de l’axe longitudinal de la nef, sur les trois travées du vaisseau central et du collatéral.

Patrick BOUVART

2016

En 2016, l’abbaye de Nanteuil-en-Vallée a fait l’objet d’une nouvelle fouille correspondant à la seconde campagne d’une programmation triennale (2015-2017). Les terrassements s’étendent sur une aire de 23 m de long et 10 à 11 m de large, soit environ 240 m² (fig. 6 et 7). Ils débutent à la limite des fouilles de 2015 et ouvrent l’équivalent de quatre travées. Les espaces ainsi dégagés correspondent à une partie de transept, la moitié du vaisseau central de la nef et trois travées d’un collatéral. Les deux premières travées de la nef sont circonscrites par des piliers (Pil17, Pil16, Pil11) ainsi que des maçonneries intercalaires (M76, M75). Ces structures matérialisent la clôture monastique autour du chœur des religieux. Elles complètent le jubé (M48) mis au jour dans la tranchée transversale ouverte en 2014. Les limites sud-est de l’emprise de 2016 concordent avec l’emplacement de deux supports encadrant l’entrée dans le déambulatoire (Pil18, Dcol74). L’un de ces supports, Pil18, marque également la limite du rond-point du sanctuaire. Au sud-ouest, la limite se concrétise par une coupe stratigraphique établie dans l’axe longitudinal de l’église. Au nord-est, les investigations se bornent à l’arase du mur gouttereau de la nef (M42) et une coupe stratigraphique à l’articulation entre la croisée et le bras de transept. Malgré la profondeur accrue des investigations, les fouilles n’atteignent toujours pas le substratum géologique attendu, autrement dit, soit la dalle de calcaire oolithique à la base du Dogger, soit les argiles toarciennes, formations reconnues à environ 1300 m à l’est du site de l’abbaye. Les recherches sont interrompues au niveau de couches archéologiques correspondant à des sols ou des gravats de matériaux issus de démolition. L’évolution du site est dorénavant déclinée en 25 phases. Plusieurs d’entre elles sont subdivisées en états ou étapes.

Les plus anciens vestiges apparaissent à environ 2,60 m de profondeur sous le gazon actuel. Il s’agit de maçonneries associées à un niveau de circulation établi sur de la terre et une chape de mortier de chaux intégrant deux foyers juxtaposés. Deux espaces sont clairement identifiables : un praefurnium et une salle chauffée par un hypocauste (phase I). Les abords immédiats de ces entités spatiales ne peuvent être véritablement appréhendés à travers les quelques sondages opérés jusqu’à 4,30 m de profondeur. La nature du site reste à définir. Les données sont actuellement insuffisantes pour dissocier un complexe thermal d’une villa. Sur la commune de Nanteuil-en-Vallée, une sépulture découverte au lieu-dit la Grande Gémarie constitue un indice sur la proximité d’une riche propriété antique du Bas-Empire. Une analyse radiocarbone est programmée pour dater la dernière combustion dans l’hypocauste (phase II). Une démolition et une période d’abandon (phase III) semblent précéder l’installation d’un ensemble bâti de plus de 100 m² (phase IV). Le plan des constructions est trop incomplet pour identifier avec certitude une première cella. Certaines maçonneries sont superposées à celles de l’hypocauste. Elles se caractérisent par un opus spicatum (phase IV ou VI). Un incident tectonique et/ou hydrologique expliquerait l’abandon de plusieurs structures (phase V) voire la construction d’un nouvel ensemble architectural. La chronologie du chantier est divisée en trois étapes (phases VIa à VIc). Aucun aménagement n’assure le caractère religieux ou résidentiel des espaces découverts. Les nouvelles dispositions ne garantissent guère mieux l’identification d’une cella. Deux phases de réorganisation des espaces (phases VII et VIII) précèdent les plus anciennes inhumations découvertes sur le site (phases IX et X). Une évolution des pratiques funéraires pourrait résulter d’une restructuration globale des bâtiments. Plusieurs phases successives suggèrent ensuite une aire en chantier avec une récupération raisonnée des matériaux (phases XI à XIII). Progressivement démolis, les bâtiments laissent place à une construction scindée en plusieurs étapes (phases XIVa à XIVd). La nouvelle architecture se démarque par des parements en assises régulières de moellons à tête dressée de moyen appareil. Le chantier évoluerait en fonction d’un accident architectonique. Il aboutirait à l’élévation d’une partie d’un édifice de culte. L’installation d’un sarcophage dans l’axe du monument conforte l’interprétation du plan. Un incendie (phase XV) serait la cause d’une destruction suscitant de nouvelles élévations associant maçonneries et structures en bois (phase XVI). Conçues pour être temporaires, les structures assureraient le maintien du culte durant les différentes étapes de construction d’une nouvelle église. Débuté par le déambulatoire, le chantier de l’abbatiale romane est dorénavant divisé en sept étapes (phases XVIIa à XVIIg). Les phases ultérieures restent celles identifiées lors des campagnes de fouille précédentes – premières inhumations dans la nef (phase XVIII), reprise du chantier de la nef (phase XIX), succession d’inhumations dans la nef (phase XX), incendie (phase XXI), restauration (phase XXII), aménagement d’un drain (phase XXIII), inhumations modernes (phase XXIV), travaux d’entretien (phase XXV).

Les découvertes de 2016 autorisent une synthèse sur les réseaux hydrauliques de cette partie du site. Aucun aménagement hydraulique ne peut actuellement être associé à l’occupation antique. La plus ancienne structure correspond à une canalisation intégrée dans un bâtiment édifié en opus spicatum (phase IV ou VI). En dépit d’une vision trop partielle, la qualité de l’ouvrage et la proportion de mortier témoignent d’une volonté d’obtenir une étanchéité. Sa démolition est entérinée lors de la construction d’une hypothétique église (phase XIV). Dans le même contexte, la découverte d’une vasque en calcaire marbrier ouvre la perspective d’un aménagement primitif en lien avec cette canalisation. Dans ce cas, il s’agirait d’une évacuation plutôt qu’une adduction. La question de l’alimentation reste sans réponse. Un sondage a permis d’exclure un tracé respectant l’axe nord-ouest /sud-est. Un approvisionnement depuis le cloître semble possible.

à partir de la phase XIV, l’évolution du réseau hydraulique parait cohérente avec les dispositions évoquées ci-dessus. La canalisation abandonnée est remplacée par une dérivation fonctionnant a priori comme un trop-plein et non une conduite permanente. Ce serait cette intermittence du régime hydrologique qui aurait surpris les constructeurs du déambulatoire. En effet, la qualité de la canalisation n’aura sans doute pas attiré l’attention lors du creusement des fondations. Lors d’une intempérie, le chevet aura fonctionné comme un bassin de rétention. Une fouille mettrait sans doute en évidence une première structure de substitution assurant l’évacuation des eaux à travers la fondation du déambulatoire. Au cours du Moyen Âge, l’évolution du dispositif n’est pas renseignée. Son rétablissement à la période moderne suggère une certaine pérennité. Le principe de trop-plein reste opérationnel pour les deux derniers états de la canalisation et encore aujourd’hui. Durant l’hiver 2016-2017, l’inondation temporaire de l’église a résulté d’une saturation du réseau du cloître et d’une décharge dans cette conduite.

Patrick BOUVART